Nos belles traditions, source de fierté
L'année dernière, la famille Gravel Girard m'avait invité à me joindre à elle pour puiser l'eau de Pâques. Il s'agissait pour Lise Gravel et Benoît Girard de leur 40ième année consécutive de respect de cette belle tradition québécoise. Dans le passé, je m'étais joint quelquefois à leur groupe et j'en avais gardé un excellent souvenir. J'acceptai donc avec joie de les accompagner. Pour respecter la tradition, l'eau de Pâques doit être puisée à même l'eau vive d'une source ou d'un ruisseau avant le lever du soleil, au matin de Pâques.
À 3h30 le téléphone sonne. C'est Benoît. J'étais levé mais pas réveillé. Rendez-vous vers 4h sur la terre ayant autrefois appartenu à M. Patrick Gravel, père de Lise, aujourd'hui décédé, mais à l'origine de cette tradition dans la famille. Des invitations ont été faites, mais on ignore qui bravera la nuit, la neige et le froid pour cette rencontre annuelle. Finalement un groupe d'une dizaine de personnes s'avance dans la neige à la queue leu leu. Jeunes, adultes, retraités serpentent dans la nuit à la lueur des lampes de poche. Quinze minutes plus tard, parvenus à un bivouac dans un boisé, nous déposons nos affaires et nous dirigeons vers la source tout près de là. Son murmure dans la neige nous oblige au silence. On la devine plus qu'on ne la voit. Benoît puise alors le précieux liquide, le goûte et le partage avec le groupe. Cette eau est un ravissement. Elle entre en nous, douce et froide nous rappelant l'essentiel. Un sentiment profond de plénitude et d'harmonie envahit soudain tout le groupe. Benoît fait quelques réserves du précieux liquide et nous convie autour d'un feu sur la neige. Soudain les langues se délient, les rires fusent dans les premières lueurs de l'aube. Notre hôte a apporté du pain à griller. Chacun s'implique pour manger un morceau. On parle de ceux qui devaient venir, de ceux qui étaient là l'an dernier, des 40 ans, des chers disparus. Puis le feu baisse lentement comme pour laisser toute la place au soleil qui se lève.
Revigorés par ce rapprochement avec la nature et les amis, nous quittons, fiers et contents de ce moment de grâce. Lise me disait que pour eux ce n'est pas tellement l'aspect religieux ou mystérieux de l'eau de Pâques qui l'attirait mais bien le plaisir de donner de cette eau à des parents et amis dans les jours qui suivent. C'est un plaisir que personne ne refuse.
Cette magnifique tradition, encore bien vivante dans toutes les régions du Québec, doit sa continuité à des personnes qui, comme Lise et Benoît, ont un profond désir de transmettre certaines valeurs importantes.
Pour qu'une tradition se perpétue, il faut un noyau fort de personnes qui y croient, qui sont capables de surfer sur la mouvance relationnel-le et garder un bon contact avec les parents et amis. Il faut se faire suffisamment convainquant pour que la transmission soit intergéné-rationnelle. Il faut aussi un rituel :
- choix du site (source)
- préparatifs: bois-feu lunch, invitations, vérification des lieux.
L'activité ici est périodique (1 fois l'an) et rappelle les grands mouvements cycliques de la vie: jour-nuit-saisons-naissance-mort. Quant à la valeur symbolique de l'eau, elle donne toute sa force à cette tradition printanière si près de la vie. Gestes simples et authentiques, respect de l'environnement et de l'humain; souci de fusion avec la Nature, voilà ce qui donne toute sa force à la tradition de l'eau de Pâques. Levons nos verres : Longue vie!