Un kiwi et un homme...
Vous connaissez tous sans doute les fameuses oies de Konrad Lorenz. Ce zoologiste autrichien parlait à ses oies qui le suivaient partout, croyant qu'il était leur mère. Il avait obtenu ce résultat singulier en étant le premier visage que ces oiseaux aient vu au moment de l'éclosion de leur œuf. C'est un principe de fixation instantanée et définitif chez les oiseaux.
C'est à peu près ce que vivait Ginette Tremblay avec sa perruche de 3 ans qu'on appelle aussi « inséparable ». L'oiseau, prénommé Kiwi, passait ses grandes journées hors de sa cage, à se promener dans la maison, mais surtout à naviguer sur l'épaule de sa maîtresse. Le lien de confiance était si fort que Ginette ne craignait nullement de l'amener dehors en saison chaude. Ce petit représentant multicolore des psittacidés (famille des perroquets) sifflait et chantait à qui mieux mieux, revenant toujours à son port d'attache : l'épaule de Ginette.
Quand il se levait le premier, Jean-Eudes, conjoint de Ginette, ouvrait la cage et Kiwi allait retrouver sa maîtresse encore au lit. En août dernier, absente quelques jours pour un congrès, Ginette avait laissé aux bons soins de son mari son « inséparable ». Ce matin-là, Jean-Eudes prépare le p'tit déj. et tire la chaise de l'ordinateur pour s'attabler. Kiwi qui se tient habituellement sur le dossier de la chaise à roulettes n'est pas là. Sans retenu donc, notre ami laisse tomber ses 200 livres sur la chaise et s'étire pour prendre le beurre. Jean-Eudes sent un léger « moton » sous sa fesse, mais se dit qu'il s'agit de son mouchoir. En effet notre ami doit être une de dernières personnes de Shipshaw et peut-être du Canada à encore se servir de mouchoirs en tissu. Il se penche un peu de côté pour le replacer dans sa poche mais se heurte à un amas de plumes. Vous comprenez maintenant pourquoi j'utilise l'imparfait dans ce texte en parlant de Kiwi. Il venait malencontreuse-ment de se faire aplatir, non par un train mais par un arrière- train, ce qui pour lui fut l'équivalent. Jean-Eudes n'eut pas le courage d'avaler quoi ce soit ce matin-là se désolant du décès tragique du petit volatile et surtout s'inquiétant de la réaction de son épouse. Toujours en l'absence de Ginette, sa fille Caroline, mise au courant du mauvais sort de l'oiseau, se présenta le soir et nettoya la cage. « Maman » a toujours dit qu'elle n'en aurait plus d'autre s'il meurt ». Elle dissuada ainsi son papa qui avait déjà amorcé des manœuvres pour en trouver un autre.
Ginette à son retour confirma les dires de sa fille. Fini les petits amis de plume. Faut dire que pour elle il s'agissait d'une deuxième déception de taille puisque sa première perruche s'était en quelque sorte «suicidée» quelques années auparavant, en mangeant des décorations de boules de Noël. Sans doute le blues du temps des fêtes.
«Ne croyez pas que je pleure, avait dit Ginette, je transpire des yeux ».