Q. (Claire): En 1982 est-ce que tu aurais pensé que le journal serait encore là 30 ans plus tard?
R. Au bout de cinq ans, avec tout le travail que je produisais, je trouvais cela ardu mais j'ai fini par me raisonner et me rendre jusqu'à dix ans. Mais au bout de dix ans, j'avais écrit que je voulais donner ma démission; je trouvais que ma part était faite. Mais je n'aurais pas voulu qu'en démissionnant le journal arrête. C'est certain que 30 ans c'est tout un bail.
Q. (Claire): Tu n'as jamais manqué aucune réunion, aucune campagne de financement, est-ce qu'il y a un moment où tu aurais aimé arrêté?
R. En fait la tâche était très ardue à comparer au contexte d'aujourd'hui. Dans les éléments qui m'ont frappé, à la troisième année, c'est à-dire en 84, à notre première campagne de financement, la réponse du public a été tellement extraordinaire que cela nous a donné une motivation incroyable parce qu'avant on ne savait pas à quel point les gens appréciaient le journal. On a eu beaucoup de commentaires positifs qui, pour nous, ont été une révélation. Un deuxième élément qui m'a amené à persister, c'est quand nous avons souligné les cinq ans de la Vie d'Ici; j'ai pris conscience qu'il y avait des gens qui collectionnaient les numéros de notre journal. Pour moi cela a été comme un choc: s'ils les gardent cela prend une dimension historique dans le sens qu'on écrit l'histoire de Shipshaw et l'histoire de Shipshaw ne peut s'écrire que dans la continuité. Tu ne peux pas écrire l'histoire si tu t'arrêtes au bout de 5 ans. Pour qu'il y ait vraiment la profondeur de l'histoire, il faut aller le plus loin possible. Si on écrivait un journal, on se donnait un outil de communication qui ressemble aux gens de Shipshaw. Ce que les journaux régionaux et nationaux ne peuvent pas nous donner, c'est notre couleur locale. On constatait aussi que le but était d'atteindre le lecteur, mais on s'est rendu compte qu'il était le point d'arrivée, le lecteur, mais en même temps notre point de départ aussi parce que notre journal doit ressembler au gens de la place. Dans la durée il se crée un attachement; le journal on y tient de plus en plus, on se reconnait dedans. À la première campagne de financement le maire de Jonquière, Marcel Martel (ancien journaliste), avait accepté d'être président de la campagne et il nous avait recentrés sur la mission d'un journal communautaire. Il faut parler des gens de la place pour qu'ils se reconnaissent et se retrouvent dans le journal.
Q. (Claire) Est-ce que tu aurais aimé que le journal prenne une autre orientation que celle d'aujourd'hui?
Non, le journal c'est le reflet des gens de Shipshaw mais c'est aussi le travail des différentes équipes depuis 30 ans. La vraie révolution c'est quand Claire a pris la présidence du journal. Au point de vue financier cela nous a donné une marge de manœuvre même si c'était encore serré. Dans les 10 premières années nous ne faisions pas parti de l'Amecq, mais Claire avec un esprit d'ouverture a introduit des éléments nouveaux et cela nous a emmenés plus loin. Aujourd'hui la subvention que nous recevons du Ministère des communications nous donne de l'air sur le plan financier et cela est dû au fait qu'on fait partie de l'Amecq. Nous sommes également partie prenante des publicités à caractère national. La marge de manœuvre que nous avons peut être investie sur une présentation plus esthétique et plus volumineuse du journal (couleur et des 16 ou 20 pages à comparer aux 8 ou 10 pages d'il y a 30 ans.
Une des inquiétudes pour l'avenir c'est la disparition des journaux papier mais peut-être pas pour demain. Nous avons déjà un site internet si jamais il y avait un problème de ce côté-là. Nous sommes dans la modernité plus qu'au début.
Q. (Alain) Où vois-tu le journal dans 10 ans?
Le journal a commencé quand Shipshaw était une municipalité. À la fusion avec Saguenay, on s'est posé la question à savoir si le journal avait encore sa raison d'être. Il avait encore plus sa pertinence parce qu'il fallait s'accrocher à notre identité Shipshoise et on s'est adapté. En 1982, je voyais le journal un peu comme un enfant que tu mets au monde puis tu suis son évolution le plus fidèlement possible, tu l'accompagnes mais en même temps tu ne sais pas ce qu'il va devenir. Tu fais juste comme avec un enfant, tu pense l'envoyer dans la bonne direction, ce que la relative stabilité de l'équipe aura favorisé. Dans l'instabilité, il ne peut pas pousser grand-chose. Nous, nous avons une forme de stabilité qui fait que l'arbre peut grandir. Par contre parfois se faire brasser un peu par l'arrivée d'un nouveau membre dans l'équipe, cela fait du bien aussi. Il faut les deux : une base stable associée aux idées nouvelles permet une ouverture et une meilleure adaptation quand il y a des difficultés.
Q. (Alain) Quel est l'évènement qui t'a le plus marqué?
Ce qui m'impressionne tout le temps, c'est qu'à tous les mois le journal est toujours là. En effet une partie du journal nous échappe; chacun fait sa petite part mais le résultat final on le voit seulement quand on le reçoit. Pour moi c'est une surprise, c'est un aboutissement et depuis le début nous n'avons pas manqué une seule parution (Claire a déjà fait un montage directement de son lit avec une jambe cassée). Il faut vraiment être passionné.
Q. (Marlène) Est-ce que cela t'est déjà arrivé d'avoir un blanc d'inspiration pour la rédaction d'un texte?
R. Non mais c'est souvent laborieux. Je m'assois encore avec un crayon (je travaille à l'ancienne) et une feuille blanche et l'inspiration me vient. Ce n'est pas toujours facile, c'est même parfois ardu parce que je recommence, je rature, j'ai besoin de décanter pour mieux me reprendre. Mon problème, je suis toujours à la dernière minute; j'aime travailler sous pression. Par contre c'est un défaut, mais qui m'a servi quand je faisais le journal. Le montage et la correction, surtout dans le rush des échéances de tombée, m'amenaient souvent à travailler la nuit.
Q. (Marlène) Comment la technologie a évolué depuis le début?
R. En 82 l'ordinateur n'était pas un outil, tout se faisait à la main. Les textes étaient tapés à la dactylo électrique par Rolande, on travaillait avec des photos papier et il n'y avait pas internet pour remplacer nos déplacements. Ce qui a été la révolution c'est l'ordinateur, la caméra numérique et Internet. Par contre j'ai toujours eu l'appui de Rolande qui est beaucoup plus techno que moi.
Q. (Rolande) Quand Jean-Claude nous a rencontrés pour que nous montions un journal, je t'ai mis un peu de pression parce que je trouvais que c'était un beau défi à relever. Est-ce que tu regrettes d'avoir accepté un tel défi?
R. Je n'ai jamais regretté mes décisions. Quand j'étais enseignant j'ai toujours aimé
mes élèves et là c'est la même chose sauf que Rolande est spontanée et quand Jean-Claude lui avait parlé durant l'été du projet de lancer un journal, moi je ne lui avais pas répondu tout de suite parce que je savais que cela demanderait beaucoup de temps; cela m'a pris deux mois où Rolande m'a cuisiné. Jean-Claude ne voulait pas me tordre les bras mais Rolande y a été pour beaucoup dans le fait que j'accepte parce qu'une entreprise comme cela n'est pas juste logique c'est une affaire du cœur, c'est émotif aussi. Finalement on a dit oui mais je me suis trouvé une équipe avant de sortir le premier numéro. Pour le concours du nom du journal, nous avons eu plus de 200 réponses. C'est Rolande qui avait pensé à mettre une photo dans le mot vie.
Q. (Micheline) D'après toi quel est le rôle du journal dans la communauté?
R. L'idée de départ était que le journal nous ressemble et nous rassemble. C'est un outil de communication et c'est aussi avec le temps que cela prend une dimension historique. Nous sommes une génération plus tard. Quand on regarde un petit peu en arrière, on s'aperçoit qu'il y a des personnes qui ne sont plus là, des gens qui ont été impliqués dans notre milieu et qui sont décédés. Le temps a passé, le journal rayonne sur Shipshaw mais il déborde parfois ses frontières. Nous avons une solide réputation au niveau de l'Amecq. Il faut d'abord que les citoyens se retrouvent dans notre journal, plus on parle d'eux mieux c'est.
Q. (Micheline) Pourquoi t'es-tu vraiment investi dans le journal; qu'est ce que cela t'apporte personnellement?
R. Cela m'a fait connaître des personnes extraordinaires. Toutes les équipes que j'ai eues m'ont donné des amitiés solides. Une des qualités qui me valorisent c'est que je suis persistant et fidèle dans tout ce que j'entreprends. Le journal m'a permis à travers la fidélité de développer cette qualité, d'aller jusqu'au bout puisque je suis un gars de défi. J'aime les sports d'équipe et en même temps j'aime être seul. Dans le journal quand tu écris, tu es seul et en même temps tu fais partie d'une équipe qui te connecte à un réseau. Cela me permet de transmettre certaines valeurs qui m'apportent satisfaction et valorisation.
Q. (Nadine) Comment es-tu