Le 27 July 2024
Volume 42, Numéro 6
Trop beau pour être vrai
Opinion

Trop beau pour être vrai

Il n'y en a pas de problèmes. Pour une fois l'hiver a débuté en janvier seulement et en prime le litre d'essence est passé sous la barrière psychologique du dollar. Il semblerait que l'automobiliste moyen pourrait même économiser jusqu'à 1500,00$ sur une année. C'est sûr qu'on consomme autant d'essence qu'avant et qu'à ce prix ridiculement bas, les consommateurs vont recommencer à s'offrir de grosses voitures. Pourquoi s'en priver?

Pourtant nous savons tous que la situation de surproduction d'énergie fossile n'est que temporaire, les réserves mondiales n'étant évidemment pas infinies. Par ailleurs, la conférence de Paris sur le climat a sonné l'alarme sur les conséquences présentes et futures d'un réchauffement climatique hors contrôle résultant de notre surconsommation. Comme la planète Terre est petite et que nous, les humains, sommes très nombreux à l'habiter, il est difficile de penser que ce qui arrive dans les pays du sud ne nous touchera pas.

Ainsi les catastrophes naturelles (inondations, sècheresses, tornades, ouragans etc.) provoquées par l'augmentation moyenne globale des températures affectent déjà nos vies puisque tout est relié. Moins d'oranges en Californie à cause de sécheresses fait augmenter les prix au Québec ; les ravages d'insectes au Moyen-Orient tuent les oliviers, ce qui fait monter le prix des denrées. Le coût de notre panier d'épicerie ne cesse de croître et avale gloutonnement nos économies d'essence. Pendant ce temps nous continuons de produire des biens de consommation jetables après quelques usages, ce qui appauvrit les ressources de la planète et augmente le volume des déchets aux dépotoirs.

Ici je ne peux m'empêcher de penser à mon oncle Lucien, décédé depuis belle lurette, chez qui, jeune garçon, j'allais passer une partie de mes étés pour travailler sur la ferme. J'étais fasciné par son cérémonial de rasage de barbe. Le soir, après souper, les épaules encore voûtées par le poids de la journée, il s'installait pour se raser. Bien assis devant son petit miroir rond sur pied, il commençait par se ramollir le visage dans une serviette imbibée d'eau chaude. Puis il agitait les poils de son blaireau sur un savon dans un bol d'eau. En résultait une mousse abondante qu'il étendait sur ses joues encore rougies par la chaleur. Finalement il sortait son rasoir à manche, une longue lame qu'il affutait en la glissant sur une courroie en cuir, à la manière des anciens barbiers. Puis d'un geste précis et lent, il passait son visage au fil du rasoir, grattant ainsi mousse et barbe qu'il rinçait à mesure dans une bassine.

Ce rituel de quelques minutes le laissait frais comme une rose et me fascinait tout à la fois. Tout ceci pour vous dire que mon oncle Lucien n'a eu, dans toute sa vie, qu'un rasoir pour la barbe. Une seule lame pour une vie entière. 

On était bien loin des lames ou rasoirs jetables qui coûtent très cher à la longue en argent, en dépense d'énergie, en pollution. Ce n'est qu'un petit exemple comme quoi il est possible de faire autrement. Comme le disait Manuel Valls, premier ministre de France : « Nous sommes la première génération à constater l'ampleur du défi à relever et aussi la dernière à pouvoir encore agir pour éviter le pire. » Malheureusement on ne peut arrêter le Queen Mary 2 sur quelques mètres pour accoster; il faut commencer à ralentir la cadence des kilomètres avant le quai. Un sentiment d'urgence devrait tous nous habiter en ce début d'année 2016, celui qui mène à l'action.