Le 23 novembre 2024
Volume 42, Numéro 9
Porté par le vent...

Porté par le vent...

Je n'ai pas de photo, ni de vidéo de ces années passées. Je n'ai que des odeurs, des relents de mon enfance. Demeurant en haut de la côte, j'avais une magnifique vue plongeante de mon quartier. Une vue d'où nous pouvions deviner le Saguenay.

J'étais fasciné par le vent. Le vent qui t'informe de ce que les mères cuisinaient pour la marmaille. Ce même vent qui propageait l'odeur d'huile et d'essence caractéristiques de ces avions qui ont fait mon quotidien pendant toutes ces années.

Je me voyais en Kit Carson, galopant sur les collines parsemées de touffes d'herbe longue, empruntant le sentier qui menait au lac Pas De Fond. Que de rêves évanouis avec le temps, que de quiétude, lorsque tout seul, appuyé sur la clôture de pieux de cèdre, je retenais mon immense cerf-volant flottant au-dessus des Dollard et Lucien Tremblay.

Mes plus tendres souvenirs ressortent à l'odeur caractéristique des patates qui prennent au fond, en pensant à Lisette Gaudreault qui préparait son diner, tout en enseignant à sa petite gang du Faubourg. Moments magiques vécus tout au long de mes deux premières années scolaires. Fascination lorsque le cheval de Germain Villeneuve venait l'attendre tout près de la grande fenêtre entrebâillée. Compétitions féroces entre Odette Bugeaud et moi lors des combats de performance, lutte amicale entre elle et moi qui trônions au haut du palmarès.

Retour à pied à la maison, «croisade» où j'avais un besoin criant d'arrêter chez Simon Roy et de repartir avec un petit sac de boules noires. Ma soeur Nicole et moi demandions à monsieur Simon de l'écrire sur le petit calepin (à cette époque, on faisait marquer…). Je ne sais trop pourquoi, mais le retour semblait plus joyeux lorsque nous pouvions renifler le petit sac…

Le jardin fleuri de monsieur Napoléon avec ses bouquets de lavandes et ses effluves de roses nous incitait à relever la tête, autant pour admirer que pour nous empiffrer de ces parfums. Plus loin, on «voyait» que madame Cora cuisinait un rôti de porc pour son mari Henry Barette («Enré» comme on disait) et ses enfants. Je me souviens d'une grande madame fière, toute en chair, d'un bon monsieur souriant et de ses garçons plus forts que nature.

Je ne sais trop pourquoi, mais nos regards se tournaient toujours du côté du petit domaine familial des Dufour, Philippe et Ti-Pit. Je dis domaine, car avec le nombre d'enfants jouant sur l'immense terrain, la ferme en fond de cour et le grand garage du camion, il était naturel d'avoir des idées de grandeur…

Que dire de la coquetterie de Ti-Fred Villeneuve? Jolie petite maison, avec son gazon toujours frais coupé, ses ouvertures toutes de jaune garnies et ses bardeaux de cèdre d'un blanc immaculé. Comme on dit par chez nous, «ça sentait le propre»…

Avant de prendre la montée de la côte, il y avait Bébé Dufour, lieu de rencontre s'il en fut un. C'était la fin de notre course lorsqu'en hiver nous glissions dans la côte et, l'été, notre terrain de ballon coups de pied. Après le souper, deux équipes composées de joueurs de tous les âges s'y affrontaient quotidiennement. Que de plaisirs aujourd'hui disparus…

La vie reprenait ses droits lorsque nous rentrions à la maison. Les règlements, quoique peu nombreux, régulaient la suite: souper en famille, bain, pyjama et repos sur la galerie d'où nous prenions des concours de couleur d'autos.

Jamais plus ces souvenirs ne retrouveront leur décor, jamais plus je n'enfourcherai ma bicyclette comme un cheval. 

Le dernier des Mohicans nous a quittés…

«Je reviendrai plus tard, quand je serai vieux, sur ces années de pur bonheur, sur ces gens que j'ai côtoyés quotidiennement. D'aucune façon, ces histoires de contes de fées, ces moments magiques ne doivent s'effacer de ma mémoire. Je ne conserverai que les couleurs pâles et les essences sucrées pour dépeindre cette période de ma vie. Les temps sombres, les orages et les coups de tonnerre n'en feront pas partie. Lorsque mes petits-enfants en feront la lecture, mon plus grand plaisir sera qu'ils s'endorment avec un sourire aux lèvres…»

Jacques