Mireille Tremblay, professeur de 4ième année à l'école Bois-Joli, admet d'emblée qu'elle se sécurise dans la fidélité. Fidélité à sa famille, à ses élèves, à ses auteurs favoris, à sa coiffeuse et même à certaines marques de savon. Sans révéler le nom de l'agent de propreté qu'elle trouve particulièrement efficace, elle part du principe: pourquoi changer quand ça fonctionne très bien? Il y a quelques temps donc, sans même réfléchir, dans une sorte de réflexe conditionné, elle s'est emparé de la fameuse boîte de savon à linge, toujours de la même couleur, la même étiquette, sur la même tablette et au même prix.
Quand le jour du lavage des serviettes de plage fut venu, Mireille, sans sortir de sa bulle, versa la dose habituelle de savon dans le compartiment destiné à cet effet, puis amorça le cycle dans un geste devenu automatique. C'est si simple aujourd'hui surtout quand on pense aux efforts que devaient déployés nos grands-mères quand elles faisaient « leur lundi » (jour de lavage du linge de leurs moussaillons).
Du salon, en pleine relaxation, on entend bien les glougloutements de remplissage et vidage, de même que le vacarme des « spins », mais c'est si bénin, si prévisible que l'on pourrait même s'endormir sur cette musique de la propreté. D'autant plus que la porte de la salle de lavage est bien fermée : un seul petit coup d'œil suffit pour l'en rassurer et surtout de la faire sursauter. « Hein! Veux-tu ben me dire : que cé ça? » Ces mots sortirent de la bouche de notre amie comme des bulles qui éclatent. En effet une mousse vivante et blanchâtre venait de s'infiltrer sous la porte et comme du pain sous l'effet de levure, elle enflait sournoisement dans le corridor.
Mireille, totalement abasourdie, gicla de sa chaise plutôt qu'elle ne s'en extirpa, et fonça sur la mystérieuse porte. Elle l'ouvrit lentement et la marrée de mousse qui avait envahi la pièce se déchira pour la laisser passer. La laveuse exécutait ses derniers soubresauts et, ce faisant, mit fin à l'invasion de mousse. Malheureusement les serviettes n'avaient pas essoré et étaient mal lavées en plus de l'explosion de ces milliers de petites bulles.
C'est donc à la main que se termina le lavage des serviettes et de l'appartement. Mireille était à moitié morte après cet épisode inexpliqué. Elle ne comprenait tout simplement pas ce qui avait généré ce gâchis. Pourtant elle avait respecté le dosage habituel de savon. Peut-être l'ont-ils amélioré ce satané savon. «J'en mettrai moins la prochaine fois.» Comme le hasard fait rarement bien les choses, la brassée de linge suivante donna les mêmes résultats, les mêmes causes produisant les mêmes effets; mais cette fois ce n'est pas Mireille qui s'est fait prendre mais sa fille qui, même dans son enfance, n'avait jamais été capable de faire autant de bulles. Le conjoint de Mireille est même allé voir s'il ne sortait pas de la mousse par les couvercles de la fausse septique. Finalement c'est lui qui a résolu l'énigme. La boîte de savon, très identique aux précédentes, portait quand même la mention : savon à vaisselle.
Depuis cet épisode Mireille est devenu allergique aux «mousses tiques», aux «fri mousses», aux «pample mousses».
Sans le savoir ou le vouloir peut-être fut-elle une émule de Ghislain Gravel qui, il y a quelques années, avait tenté de laver son équipement de hockey dans le lave-vaisselle. Ça fait 5 ans de ça et il y a encore quelques bulles qui se promènent chez-lui. Peut-être sont-ce plutôt des souvenirs pétillants!