La vie étudiante n'est pas plus rose à Sherbrooke qu'à Saguenay
La chef de l'ERD Josée Néron l'a répété de nombreuses fois avant et pendant la campagne électorale qui l'a menée à la mairie et c'est tant mieux si elle peut respecter ses engagements électoraux, mais vouloir se baser sur le modèle sherbrookois pour transformer Saguenay en ville étudiante n'est peut-être pas une si bonne idée.
Je suis fondamentalement en accord sur la nécessité d'écouter les étudiants, comme moi, et d'intégrer leurs préoccupations lorsque viendra le temps d'établir des plans de développement régionaux, notamment en ce qui concerne les infrastructures de transport en commun.
Là où j'accroche un peu, c'est dans l'idée de prendre continuellement Sherbrooke, la ville où j'ai grandi, en exemple. Évidemment, la tentation est forte. Sherbrooke et Saguenay ont une population semblable, les deux villes ont un passé industriel et ont dû faire face à la fermeture de nombreuses usines. Sherbrooke s'en est peut-être mieux sortie que Saguenay en plaçant son université et son cégep au cœur de sa vision d'avenir, avec l'argent qui va avec. Aujourd'hui, il y a près de 50 000 étudiants post-secondaires à Sherbrooke contre 23 000 à Saguenay, selon des chiffres avancés par le chroniqueur du Quotidien Bertrand Tremblay le 15 janvier dernier.
Côté économique, les chiffres parlent beaucoup (et c'est peut-être surtout ce qui intéresse Mme Néron), près de 12 000 personnes travaillent directement pour l'Université de Sherbrooke ou à la principale commission scolaire, sans compter les emplois indirects créés. Cela est bien sûr en grande partie attribuable aux efforts d'investissements de la Ville pour accommoder sa population étudiante, mais également grâce à l'excellence de certains programmes comme celui de médecine qui est maintenant reconnu internationalement.
Sauf qu'à Sherbrooke, la vie étudiante prend trop de place.
D'abord le plan de transport en commun a été conçu uniquement pour faciliter les déplacements des étudiants vers soit le cégep ou l'université. Tant mieux pour eux, mais il en résulte des parcours surréalistes qui rendent les déplacements à pied plus rapides que ceux en autobus. À Saguenay aussi le transport en commun est dysfonctionnel, mais la faute incombe davantage au territoire municipal trop étendu. Un autre élément caractéristique des «accommodements raisonnables» accordés aux étudiants sherbrookois sont les navettes spéciales pour les soirées festives, les «autobus de saoulons». J'ignore si le projet pilote tient encore, mais en 2015 c'était le cas. Comme le nom l'indique, c'était des autobus réservés aux étudiants qui «brossaient».
50 000 étudiants sur une population d'environ 165 000 personnes, c'est pas mal de monde. Ce n'est pas tous ces étudiants qui sont originaires de la région des Cantons de l'Est, donc une partie non négligeable d'entre eux repart dans leur coin de pays pour l'été, ce qui crée un ralentissement économique important. Et même durant l'année scolaire la situation est un peu particulière. Le campus de l'Université de Sherbrooke est en quelque sorte une ville dans la ville ce qui fait qu'une majorité d'étudiants fréquente des évènements organisés par eux, pour eux, ainsi que des lieux qui sont, par la force des choses, délaissés par d'autres potentiels clients qui se sentent plus au moins à leur place dans un endroit bondé d'universitaires ou de cégépiens.
L'été, Sherbrooke est une ville plate, beaucoup moins dynamique que Chicoutimi. Il y a bien sûr quelques festivals, mais qui ne peuvent survivre que grâce aux subventions des différents paliers gouvernementaux. On n'y croise presque jamais d'étudiants, ce qui compromet leur survie.
Et dernière constatation dont j'ignore s'il s'agit d'un point positif ou négatif : il devient de plus en plus difficile de faire carrière à Sherbrooke sans posséder au moins un bac en quelque chose. Je ne crois pas qu'il soit plus difficile qu'ailleurs de se trouver un emploi non-qualifié (quoi que…), mais chose certaine, les principaux employeurs recherchent surtout des diplômés. Tant mieux si au final les Sherbrookois deviennent plus éduqués que la moyenne provinciale, mais en attendant, c'est une transformation sociale qui doit se faire en douceur si Saguenay veut bel et bien emboîter le pas à Sherbrooke.