Depuis sa formation en 1966, l'Association féminine et d'action sociale (l'AFEAS) accueille des femmes de toutes les générations. La mission de l'AFEAS est de défendre les intérêts des femmes auprès des instances décisionnelles. L'AFEAS encourage les débats et aide les femmes à jouer leur rôle de citoyennes. Dernièrement, six femmes appartenant à six décennies différentes, membres de l'AFEAS de Shipshaw, se sont réunies, non pas pour discuter des grands enjeux de la société, mais pour réussir à monter un métier à tisser.
Sans dévoiler leur âge voici quelques indices. Tout d'abord il y avait Rita Tremblay, elle est née entre deux guerres mondiales, c'est l'époque où les femmes s'étaient taillé une place dans le monde du travail durant la guerre. C'est l'époque des grandes avancées technologiques, l'apparition des appareils ménagers électriques. Il y avait aussi sa sœur Françoise Tremblay, elle est née dans la décennie de la crise économique, une crise qui n'a pas épargné le Québec. C'est dans cette décennie que le Code civil du Québec a été amendé pour permettre aux femmes mariées d'avoir pleine autorité sur leur salaire personnel; c'est aussi l'adoption par le gouvernement de Maurice Duplessis de la Loi sur l'assistance aux mères nécessiteuses responsables de la famille.
Rolande Lavoie est née dans la décennie de l'adoption du droit de vote des femmes, une période charnière entre la tradition et la modernité. Pour ma part, c'est la décennie de la parfaite ménagère. Les femmes sont des mères avant tout, nous sommes en plein baby boom.
Claudia Riverin est née dans la décennie de l'entrée en vigueur de l'aide sociale, du régime légal de la communauté de biens qui est remplacé par celui de la société d'acquets. Le code civil du Québec est modifié pour reconnaître certains droits de l'enfant naturel. Au fédéral, le régime d'assurance chômage accorde quinze semaines de prestations de congé de maternité aux femmes. C'est la création du Conseil du statut de la femme.
Finalement, il y a Mélanie Lavoie qui est née dans la décennie de la reconnaissance des conjoints; les femmes conservent leur nom et peuvent le transmettre à leurs enfants. C'est la période de l'adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail qui permet le retrait préventif à une femme enceinte pour préserver sa santé et celle de son enfant.
Lorsque l'on consulte les comptes rendus des rencontres de l'AFEAS, on constate que plusieurs des changements amorcés depuis plusieurs années, sont au cœur-même des discussions lors des rencontres de l'AFEAS depuis sa fondation en 1966.
Pourtant, ce qui nous a réuni durant ces quelques jours d'hiver, c'est le montage d'un métier à tisser, un métier qui nous a donné comme le dit l'expression bien du fil à retordre.
Nous nous sommes retrouvées toutes les six à remettre notre travail cent fois sur le métier puisque monter un métier est un procédé qui peut être parfois complexe et réserver bien des surprises; cette fois-ci ce sont nos mains qui ont joué un rôle considérable dans la réussite de ce défi.
Ce sont les mains expertes de Rita qui peignaient les fils avec patience, qui les attachaient un à un, les mains rieuses de Françoise et de Rolande qui tournaient et comptaient les tours, les mains agiles de Mélanie qui démêlait les fils avec la complicité des mains d'artiste de Claudia et mes mains fixées solidement sur la boîte de tension.
Durant ces quelques jours la tradition et la modernité se sont côtoyées. Il y avait un livre et un ordinateur. Françoise et Rita consultaient le livre sur le tissage domestique, une édition imprimée par le Ministère de l'agriculture en 1938. Dans cette édition, on y trouve toutes les informations relatives à la préparation du tissage, au tissage et aux modèles de tissus. De leur côté à tour de rôle, Mélanie et Rolande, à l'aide d'un moteur de recherche sur l'ordinateur, tentaient de trouver des solutions pour améliorer la tension des fils, comment attacher les fils et bien d'autres préoccupations relatives à la réussite du montage du métier.
Françoise et Rita sont de celles qui désirent que la tradition se poursuive, elles en ont tissé des couvertures et des linges à vaisselle. Aujourd'hui pour plusieurs d'entre nous, tisser est plus un loisir créatif qu'un besoin pour offrir aux personnes que l'on aime des pièces que l'on a confectionnées soi-même. Françoise nous a répété souvent que c'est valorisant de pouvoir dire qu'on a été capable de réaliser un projet au métier.
Toutes les six, au fil des discussions et de l'expérience de chacune, nous avons finalement réussi à terminer presque toutes les étapes du montage du métier. Il en restait une et non la moindre, il fallait attacher les fils du métier. Encore une fois nos mains s'activent sur l'ordinateur afin de trouver la bonne manière d'attacher nos fils sans parvenir au résultat que l'on souhaitait. Ce sont finalement les mains adroites et patientes de Rita qui sont venues à notre secours. Pendant que j'apprenais la bonne manière d'attacher les fils, Françoise s'est approchée en disant '' regarde c'est écrit dans le livre de tissage'' et elle avait bien raison.
Tisser, c'est entrecroiser des fils de manière à en former une nappe solide, compacte ou à relief qu'on appelle un Tissu. Durant ces quelques journées d'hiver, ce sont six générations qui ont entrecroisé leurs connaissances autour d'un métier avec un livre, un ordinateur et surtout beaucoup de patience!
Références :
Le tissage domestique, Ministère de l'agriculture, 1938
Internet, Femmes, Voyages à travers le Québec