Fou rire
Tout le monde, c'est certain, sait ce qu'est un fou rire pour l'avoir déjà expérimenté. Il s'agit d'un rire irrésistible, incontrôlable qui nous secoue, nous subjugue, nous rend "fou" jusqu'à un certain point. À tout le moins nous donne l'air fou.
En amorce à cette anecdote et pour mieux illustrer mon propos, je pense spontanément à ma mère, Simone Noël, malheureusement décédée, qui était extrêmement ricaneuse. Surtout lorsqu'elle devait nous rapporter une situation cocasse qui l'avait bien fait rigoler. C'était une raconteuse naturelle qui rapportait les faits dans le moindre détail. Suspendue à ses lèvres, nous l'écoutions religieusement jusqu'à ce que, rendue au punch de l'histoire, elle se mette à rire aux larmes, les yeux fermés par les spasmes qui la secouaient et devenue incapable de continuer à parler. Ses rires, ses efforts infructueux pour reprendre son sérieux, ses tentatives vaines pour recommencer à parler, ses petits cris glissant entre ses dents, tout cela nous mettait presqu'en état de transe nous aussi, devenus nous-mêmes totalement incapables de résister. À un moment donné tout le monde pleurait, tellement nos fous rires relançaient de plus belle ce moment de bonheur.
À la fin maman, complètement épuisée, finissait par lâcher le morceau. Au total ce n'était pas si drôle que ça, mais sa manière de nous en faire part nous avait transportés. Le plus "drôle", au sens de bizarre, c'est le fait étrange que, si elle devait raconter la même histoire un mois plus tard, le même phénomène recommençait de plus belle, exactement au même endroit.
Mais revenons à cette anecdote à laquelle je faisais allusion au début. Certains parmi vous s'en souviendront certainement puisque l'histoire se passait le 24 décembre 2016, à l'église de St-Jean-Vianney. C'était la messe de Noël de 10h00 du soir, jadis appelée la messe de minuit. L'église était pleine à craquer et les fidèles, bien emmitouflés dans les bancs, serrés les uns contre les autres, affichaient des mines réjouies mais conservaient tout le sérieux et la gravité que suggère ce moment solennel de la nativité.
Soudain l'officiant, curé de la paroisse St-Mathias à Arvida, fait son entrée, escorté par les servants de messe et les 2 ministres de la communion. Le "Venez divin Messie," entonné par la chorale, berçait de ses harmoniques les souvenirs des Noël d'autrefois. Dans le chœur, Jacqueline Boily et Nicole Gagné, nos 2 ministres de la communion prennent leur rôle très au sérieux et sont attentives au rituel déjà lancé par le prêtre. Pourtant un petit élément perturbateur semble s'être invité insidieusement dans les narines de l'officient qui se pince le nez régulièrement, comme pour retenir un éternuement. Cette petite manœuvre, qui a totalement échappé aux fidèles, se poursuit pendant quelques minutes sous les regards inquiets de Jacqueline et Nicole. Puis, n'y tenant plus, comme un barrage qui cède, l'envie d'éternuer devient explosive. Dans un réflexe de politesse de dernière seconde, l'abbé, qui est derrière l'autel, se tourne brusquement vers l'arrière pour limiter les dégâts. Malheureusement pour lui, il a oublié que son micro était exactement à l'endroit où il a éternué. Ce qui devait être un bruit étouffé s'est soudainement transformé par la magie des ondes en véritable explosion. Le nef au complet, ébahie, incrédule, estomaquée, a sursauté comme un seul homme devant cet assaut sonore tout à fait monstrueux et inattendu.
Suite à cette attaque, une deuxième vague déferla sur l'assemblée, celle d'un fou rire collectif, à peine retenu malgré les tentatives infructueuses pour y mettre un terme. Quand une rangée avait regagné un peu de son sérieux, une autre reprenait le flambeau malgré les doigts sur la bouche et "chuts" qui s'affichaient ça et là. Les ouailles se demandaient sans doute si Jésus n'avait pas remplacé la présence silencieuse des bergers par celle du tonnerre, histoire de ne pas passer inaperçu en cette belle nuit de Noël.
Dans le chœur Jacqueline et Nicole n'en pouvaient plus de se retenir d'autant plus qu'elles devaient donner un exemple qu'à l'évidence, elles étaient incapables de manifester. Le plus déconcertant et probablement ce qui augmentait encore plus le fou rire, c'était que le curé n'a jamais ri une seule fois. Peut-être n'avait-t-il pas perçu l'ampleur de son "atchum" provocateur.
Jacqueline me racontait qu'elle ne pouvait plus regarder sa consœur sinon tout recommençait. Une torture agréable, mais une torture tout de même, surtout que plus on est de fous, plus on rit.