Le goût du risque
La relation qu'entretient le grand public avec les partis politiques provinciaux me fascinent. Il s'agit pour plusieurs de donner un chèque en blanc à l'une des trois formations qui peut former le prochain gouvernement. Et quelques conversations avec les militants, toute allégeance confondue, permettent de confirmer l'hypothèse suivante : les connaissances du programme d'un parti sont inversement proportionnelles à sa position dans les sondages. Difficile de trouver un militant de Québec Solidaire qui vote sans avoir de bonnes connaissances des engagements du parti. Sauf que QS rejoint tout au plus un électeur québécois sur dix. Lorsqu'on prend les résultats du sondage par le haut, on rencontre alors la CAQ avec 34% des intentions de vote. Le parti met surtout de l'avant la personnalité de son chef pour attirer le vote, plutôt que sur ses engagements. Malgré sa visibilité médiatique, il ne semble pas pressé de faire la promotion détaillée de ses engagements. Évidemment, il reste plusieurs mois avant les élections et le programme complet est facilement disponible sur le web, mais d'autres partis ont déjà commencé à expliquer leur vision. Peu de gens prennent le temps de se documenter sur les plateformes des partis. Et c'est d'ailleurs là une bonne chose : même si le programme contient des dizaines d'engagements qui traduisent le travail des militants, seule une poignée de promesses seront mises de l'avant et risquent d'être respectées. C'est vrai pour la CAQ comme pour tous les autres partis. En deuxième position, le PLQ qui est un cas à part puisqu'il détient actuellement le pouvoir et peut prendre des décisions qui risquent d'avoir des effets considérables sur les sondages.
Les chiffres du membership (nombre de membre que chaque parti possède) sont encore plus parlants et l'exemple du Parti québécois est sûrement le plus représentatif. Au Québec, il s'agit du parti provincial qui laisse le plus de place à ses militants sur le plan décisionnel. Ainsi, c'est le parti qui peut compter sur la plus importante base militante avec plus de 70 000 membres (en 2017). C'est presque six fois plus que la CAQ et le double du Parti libéral. Donc pour simplifier selon les plus récents sondages : la CAQ reçoit 34% des intentions de vote, mais se classe en troisième position pour son nombre de militants; le PLQ qui détient le pouvoir, reçoit 29% et se classe deuxième en nombre de militants (avec la moitié des effectifs du PQ), le PQ rejoins tout au plus 20% des électeurs malgré sa solide base militante (1ère position) et QS termine bon dernier avec seulement 10%, mais avec une base militante particulièrement politisée d'environ 10 000 personnes, donc pas loin derrière la CAQ qui en comptait 11 500 en 2017. Ces chiffres ont sûrement évolué, mais il y a fort à parier que la tendance est sensiblement restée la même.
On peut en faire différentes lectures, mais il semble que c'est le militantisme en soi qui est en perdition. Le temps du porte à porte et des poignées de mains est révolu puisque convaincre les gens ne suffit plus à gagner une élection. Les électeurs sont de moins en moins intéressés par l'idée de donner du temps à une organisation politique. À l'âge des réseaux sociaux et des fausses nouvelles, les citoyens les plus politisés ont de moins en moins d'impact sur les autres moins informés. Il faut dire que les propositions des partis sont beaucoup moins radicales qu'avant. Ceux qui militaient autrefois pour la souveraineté sont de plus en plus nombreux à rester dans leur salon. Et, par la force des choses, ceux qui souhaitaient l'empêcher à tout prix aussi. S'ajoute à cela un désabusement général face aux politiciens et plus particulièrement aux partis politiques. Parce que, dans bien des cas, les gens gardent confiance à leur député qu'ils ont la chance de côtoyer, mais ont tendance à mettre tous les autres élus dans le même panier d'œufs pourris…