Tribunal populaire
Des bienfaits et limites du tribunal populaire
Des quatorze plaintes d'inconduites visant Gilbert Rozon, une seule a été retenue par le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Inutile de souligner qu'il s'agit d'une décision bien décevante. Notre système de justice avait rendez-vous avec l'Histoire et a manqué son coup.
Condamner Gilbert Rozon n'a aucune importance. Pas davantage en tout cas que n'importe quel autre agresseur violeur. Mais il faut bien commencer quelque part et de faire tomber le fou aurait peut-être permis d'accélérer la partie d'échecs.
Le DPCP a agi avec la même rigueur qu'il aborde toutes les autres causes qui lui sont présentées. D'ailleurs, c'est peut-être, et je dis ce qui suit avec des pincettes, ce qu'on peut lui reprocher. L'Histoire attendait plus de ses tribunaux. On a manqué notre "shot".
Quiconque a accompagné une sœur, une amie ou n'importe quelle femme au travers des étapes et du processus de guérison qui doit suivre une agression comprendra mon radicalisme.
Il ne suffit pas de croire les victimes, il faut punir les coupables. Non pas pour permettre les premières à guérir puisque le mal est déjà fait et les cicatrices ne disparaîtront jamais complètement, mais pour extirper un mal de notre société.
Je rêve d'un monde où un homme (parce que malheureusement c'est de nous qu'il s'agit messieurs) sérieusement soupçonné d'agression sexuelle serait tout simplement congédié. La sexualité est quelque chose à chérir. Pour les victimes, les blessures sont longues à guérir.
Heureusement dans le cas de Rozon, le tribunal populaire aura raison de lui. Jamais il ne retournera au sommet où il trônait. Peut-être essaiera-t-il tout de même et trouvera des collaborateurs assez insensibles avec qui collaborer, mais les événements auxquels il s'associera seront largement boycottés du public. C'est toutefois une conséquence bien minime pour les faits allégués; Gilbert Rozon était déjà à quelques pas de la retraite. Merci tout de même au tribunal populaire.
Un tribunal qui agit avec une intransigeance remarquable. Rozon ne pouvait être considéré comme un «chouchou des Québécois», mais Éric Salvail oui. Il avait comme on dit «une belle personnalité télévisuelle», ce qui ne l'a pas empêché d'être lynché lorsque son comportement sexuel déplacé fut révélé. Peut-être réussira-t-il un retour à la télévision un jour, mais sa carrière a définitivement perdu tout son lustre.
Question d'étouffer cette petite pousse de sympathie qui pourrait naître chez certains, rappelons que derrière chaque Éric Salvail il y a une relève extraordinaire qui attend son tour. Des jeunes talentueux et talentueuses qui pourront le remplacer au pied levé, séduire les téléspectateurs et surtout qui n'ont pas traumatisé personne avec leur comportement pervers.
Même logique pour Rozon: son succès s'explique en grande partie par la confiance que lui a accordée l'industrie (et les millions qui vont avec) Du flair, nous en avons tous.
Mais dans les faits, si l'agresseur est une personne lambda, il ne risque pratiquement rien. Le fameux tribunal populaire ne s'acharnera pas sur un inconnu. J'ai beau connaître l'identité d'un agresseur sexuel, je peux tout au plus l'écrire sur Facebook et dans le meilleur des cas, peut-être que certains de ses proches arrêteront de lui parler.
Souvent la victime n'a pas de témoins pour valider son témoignage et les chances que l'accusation poursuive son chemin sont faibles. Malgré le sort des Rozon et Salvail de ce monde, je reste comme avec un goût amer dans la gorge devant leur possible innocence devant la loi. De ne pas condamner en tant que société comme on le fait pour quiconque a volé, blessé ou tué nous fait en quelque sorte partager le blâme. Ou du moins c'est le sentiment que j'ai. En me taisant, j'aurais l'impression d'être complice.