Le feu est pris
C'est merveilleux ce qui se passe en forêt. Un lent espace de vie et de mort. Des espèces vivantes qui contribuent à notre survie à nous humains, en enfermant notre poison de CO2 dans le sol, sans qu'on leur demande.
Si vous trouvez un vieux bonhomme ou une vieille bonne femme qui aime sa terre, il pourra vous parler de ses arbres. Les sages savent les reconnaître, les différencier.
Ce n'est pas parce qu'on possède une scie à chaîne qu'on doit les couper sans raison. Tout ça semble acquis pour tout le monde. Et c'est pour cela qu'on s'insurge – avec raison – lorsqu'on voit l'écosystème amazonien brûler sans que le Brésil de Jair Bolsanaro ne s'inquiète outre mesure.
«Eh qu'on ne laisserait pas faire ça au Québec» qu'on se dit volontiers pour se rassurer.
Mais pourtant oui!
La forêt boréale est maltraitée, mais ce n'est pas de cela dont je souhaite vous parler. Aujourd'hui, le feu est pris dans un écosystème, celui des médias!
Un incendie hors contrôle qui aura un effet global peut-être moins grave que la déforestation de l'Amazonie, mais qui aura un effet drôlement plus concret sur la vie de millions de Québécois.
Le foyer, ici au moins, on le connaît. Il se trouve en Californie essentiellement dans les bureaux de Facebook et Google.
En vampirisant les revenus publicitaires, les géants du web saignent les moyens des salles de rédaction. Du haut de leur standing et la neutralité imposée par le métier, difficile de broncher. Le rôle d'observateur que nous épousons comme journaliste ne nous permet pas de marcher dans les rues et de revendiquer. Mais lorsque ce n'est plus possible de signer le chèque de paie, la situation force la mobilisation.
Rien de bien nouveau, tout cela a été bien dit et redit depuis que le Groupe Capitales Médias, mon employeur, est sorti sur la place publique pour dire que notre situation économique était misérable.
Les connaisseurs du milieu des affaires les plus dégourdis glisseront que le modèle d'affaires des médias est dépassé depuis des lunes. Si cela n'est pas exactement faux, il faut mettre les choses en perspective.
Les journaux, même privés, sont forcément communautaires. Communautaire comme dans ancrer dans leur communauté. A fortiori ceux du Groupe Capitales Médias publiés dans des petits centres urbains et dans un territoire délimité géographiquement et avec un lectorat lui aussi limité.
Les médias québécois, qui tirent leur source de revenus essentiellement dans la vente de publicité font face à une situation de dumping sans comparable au Québec, toutes industries confondues. Ils se retrouvent devant un géant étranger qui est non seulement capable de répondre à toute la demande locale en publicité et ce sans aucune limitation, mais surtout à meilleur coût.
Contrairement aux autres industries de services, il n'y a pratiquement aucun coût supplémentaire sur le web qui s'impose à une entreprise qui souhaite le faire à l'extérieur de ses frontières.
Un peu comme les fraises du Mexique à l'épicerie. Sauf que pour les producteurs agricoles, les consommateurs sont bien conscients de l'importance de soutenir l'économie locale.
Dans le monde des journaux, les principaux consommateurs de nos pages, ce sont les entreprises qui achètent des espaces publicitaires. Ces derniers qui s'époumonent avec raison sur l'importance de soutenir les commerces locaux ont massivement abandonné les journaux de leur communauté au profit des plateformes web. Sur les derniers chiffres qui circulent, 80% de la publicité est achetée aux géants du web (GAFA).
Lorsqu'on est à la tête d'une (très) petite entreprise avec un petit chiffre d'affaires, Facebook est une solution intéressante puisque la plateforme permet de bâtir un plan publicitaire sur mesure, mais l'argent investi se retrouve systématiquement à l'extérieur de la communauté.
Sur mon fil d'actualité Facebook, je vois tous les jours des entreprises de ma région bénéficier d'une couverture journalistique pour souligner leurs initiatives et, pour surfer sur la bonne nouvelle, ils se paient une publicité Facebook. Il faut être conséquent!
La disparition des médias quotidiens en Estrie, Mauricie, Outaouais et au Saguenay représente la fin des bonnes et des mauvaises nouvelles. La fin des enquêtes pour mettre en lumière les problèmes du système évidemment, mais également pour partager les problématiques auxquelles peuvent faire face les organismes. Il ne faut pas s'y méprendre : pour faire entendre sa voix sur les réseaux sociaux, la carte de crédit est plus souvent qu'autrement nécessaire.
Comme en Amazonie, c'est un nuage de fumée qui menace de se lever avec la disparition des médias d'information. Un nuage rempli de la pollution de fausses nouvelles, de publicités mensongères, de jokes pas drôles et de vidéos de chats. Difficile de faire passer un contenu pertinent dans un tel environnement.
Sans être devin, il est fort probable que peu après la publication de ce texte, les médias demanderont votre contribution.
J'espère que vous répondrez présents!