Une journée sans elles
Alex a 22 ans, il étudie en administration des affaires. Sa cohorte est composée en majorité de jeunes hommes ambitieux comme Alex. Malgré cela, il performe plutôt bien. En fait, il est parmi les meilleurs étudiants du programme. Sans trop s'en vanter, Alex espère que son engagement pour sa passion lui permettra de décrocher un bon stage en entreprise.
À la fin de sa dernière session, Alex a été un peu déçu. L'entreprise au sein de laquelle il souhaitait faire son stage a préféré donner la chance à une fille de sa classe, Julie. Sympathique certes, mais beaucoup moins performante qu'Alex. Elle s'est vu offrir un bon salaire durant son stage et les coudées franches pour faire ses preuves.
«Tant pis!», s'est dit Alex. Ses enseignants lui ont trouvé une place dans une entreprise plus petite un peu moins rayonnante, mais qui a accepté de prendre Alex sous son aile. Il n'aura pas droit à un salaire. «Tu es ici pour apprendre, on verra si on te garde à la fin», lui a dit la présidente de l'entreprise lors de l'entretien. D'ailleurs l'entrevue a débuté d'une drôle de façon alors que la présidente l'a complimenté sur son apparence avant même de se pencher sur son CV.
Alex a fait ses preuves, d'abord dans l'ombre de la directrice de l'entreprise qui peinait à appliquer les stratégies modernes de sa profession, puis comme directeur-adjoint. Dans les faits, Alex fait l'essentiel du boulot, mais la directrice tient à apposer son nom sur les documents présentés au CA de l'entreprise.
Alex n'aime pas tant sortir, mais ses amis l'ont poussé à passer la soirée en ville. Une chance, puisqu'il a rencontré une jolie fille il y a quelques mois. Olivia qu'elle s'appelle. Elle a un passé un peu rough, mais elle veut vraiment s'en sortir.
Alex est en amour, mais il y a des jours où Olivia est turbulente. Elle donne des ordres et si Alex ne l'écoute pas, elle se montre violente. Alex croit parfois que c'est de sa faute, qu'il cherche le trouble.
C'est que Alex pensait.
Depuis une semaine Alex n'a pas répondu au téléphone à ses parents. Après quelques jours, sa famille a commencé à s'inquiéter. Alex n'est plus à la maison. Olivia dit ignorer où son conjoint se trouve.
Les parents d'Alex ont contacté la police. Les policiers sont venus, ont posé leurs questions à Olivia et à ses amies, qui furent les derniers à voir Alex lors d'un souper où le couple s'était particulièrement chicané.
Olivia a dit aux policiers que son conjoint aimait aller dans les bars, qu'elle craignait qu'il soit parti avec une autre.
Les policiers ont pris leurs notes et sont repartis. Ils ont interrogé le barman qui n'avait, évidemment, pas vu Alex. Ils ont fait leur travail, mais sans plus.
La vérité, c'est qu'Olivia a «pété sa coche», les coups sont partis, trop forts et trop tard.
La vérité, c'est qu'Alex est Alexa, Olivia est Olivier et Julie est Julien.
La vérité, c'est qu'il y a 90 000 féminicides dans le monde. Des femmes qui sont tuées parce qu'elles sont des femmes. Pas seulement des actes haineux, mais surtout des drames qui n'auraient pas lieu si les sexes étaient inversés. Des enquêtes qui seraient mieux menées si la victime était un homme et surtout des accusations qui seraient portées si la victime n'était pas une femme.
Mobilisation
Les 8 et 9 mars derniers, l'Amérique et surtout l'Amérique latine vivaient une mobilisation sans pareil pour le droit des femmes. Pas pour le droit de vote, l'avortement ou plus de congés de maternité payés. Pour le droit de vivre, de ne pas être tuées et pour l'assurance que les auteurs de crimes soient condamnés.
Au Mexique, Argentine, Chili, El Salvador et Honduras, les droits des femmes ont la vie dure.
Le Salvador et le Honduras font face à un véritable problème de sous-développement et remettent en question le droit à l'avortement.
Au Mexique et en Amérique du Sud, c'est plutôt les féminicides qui restent impunis. Le Mexique a connu des crimes horribles contre des femmes dans les derniers mois.
Pour marquer leur mécontentement, des manifestations de taille ont été organisées le 8 mars qui était un dimanche. Le lundi suivant, les femmes ont disparu.
«Une journée sans nous», c'était la thématique choisie par les groupes féministes un peu partout en Amérique latine.
Comme le slogan le laisse penser, l'idée était de «disparaître» pendant une journée pour faire comprendre à la société l'importance qu'ont les femmes.
Le 9 mars, les rues de Mexico, la capitale gargantuesque du Mexique, étaient pratiquement vides. Pas de trafic, peu de passants; les femmes étaient restées à la maison pour mieux marquer leur présence.
L'occasion de faire réfléchir les politiciens, les employeurs et les hommes en général sur l'importance de protéger la gent féminine.