Trois mois sans argent
Pas de billets, de trente sous ou de huards. D'octobre à décembre, j'ai vécu trois mois sans argent. Non pas pour faire une expérience sociologique, simplement par hasard.
Une situation si subtile que je l'ai à peine remarquée. Pas sans argent dans le sens de pauvre comme Job, sans argent dans le sens de pièces sonnantes, de billets ou de chèques.
D'emblée, je ne suis pas le plus utilisateur de l'argent physique. Je préfère utiliser les cartes de plastiques, mais j'ai normalement toujours en poche un vingt et quelques pièces sonnantes.
Mais en septembre on a glissé dans un nouveau paradoxe!
Depuis un an nous vivons en Basse-Côte-Nord. Une région isolée sans route et sans guichet automatique. Après avoir passé quelques semaines dans les Cantons-de-l'Est cet été, nous sommes retournés, ma conjointe et moi, à la fin août à notre nouveau chez-nous non sans avoir dépensé toute notre monnaie dans les machines distributrices alimentaires pendant les quatre jours de voyage en mer nécessaires pour se rendre ici.
Une situation pas très grave parce que, ici à Tête-à-la-Baleine comme dans le reste du Québec, notre magasin (eh oui, juste un) est équipé de la Paypass.
Il va sans dire que la paypass, cette merveilleuse invention qui nous permet de régler nos achats à quelques fractions de secondes, est extrêmement pertinente. Pour des raisons sanitaires évidentes en temps de pandémie, mais aussi parce que ça évite de devoir couper sa conversation avec l'employé(e) du magasin pour composer son NIP.
Mais bref, nous avons utilisé le Paypass pour nos achats tout l'automne, sans même nous poser des questions, jusqu'à un beau jour de décembre où la machine a rendu l'âme. Oups!
Pas d'argent pour payer l'épicerie, même pas un trente sous ou un chèque. Et la banque n'a pas des heures d'ouverture aussi larges qu'ailleurs…
On nous a fait crédit, à nous et à pas mal de monde au village, le temps d'aller au guichet et de payer nos dettes. Une nouvelle machine Interac est arrivée une dizaine de jours plus tard et on a pu recommencer à payer en plastique.
Mais ça m'a amené à me questionner sur notre relation avec l'argent.
Dématérialisé, l'argent devient une vue de l'esprit, un produit de l'imagination. Je travaille pour un salaire horaire et on me transfert un certain montant aux deux semaines, mais cet argent reste virtuel.
Je peux seulement prendre connaissance de l'état de mes finances via un ordinateur ou mon téléphone intelligent.
Et lorsqu'on se sort la tête des CELI, REER, cartes de crédit, comptes épargnes etc, on remarque à quel point c'est absurde d'avoir des dettes à gauche et de l'épargne à droite. Depuis que l'humain utilise un système financier, un individu a soit des dettes, soit des économies, pas les deux en même temps!
La dématérialisation de l'argent a quelque chose d'inquiétant. D'une part puisque nos avoirs reposent sur une foule d'intermédiaires pour exister (Internet, l'ordinateur, le système financier et tout et tout), mais aussi parce que ça pousse à dépenser!
À force de n'avoir que de l'argent virtuel, on finit par vouloir traduire ces chiffres en objets. Autrement dit, profiter de notre pouvoir d'achat.
Est-ce que de revenir à l'argent physique permettrait d'être plus responsable de ses achats? C'est assurément une hypothèse que je veux tester cette année!