Le 27 décembre 2024
Volume 42, Numéro 10
Du pain et des jeux
Opinion

Du pain et des jeux

Dans Le coup du menhir, le divin Prolix qui arrive au village d'Abraracourcix à la faveur d'orage propose aux habitants qui résistent encore et toujours à l'envahisseur de lire leur avenir dans la cervoise et le poisson (frais de préférence). Il propose même de dévoiler aux valeureux Gaulois les plans de leurs dieux en ouvrant les entrailles d'idéfix, proposition rejetée par Obélix qui prédit plutôt une réponse physique au devin.

Bien sûr, ces pratiques commençaient quelque peu à dater. Il n'est plus possible d'avoir du poisson frais avec la mondialisation de l'économie; en février l'alcool est prohibé et les SPA n'ont plus de chiens disponibles en raison de la Covid-19. 

Quelque 2000 années après les aventures d'Astérix, c'est plutôt les entrailles du Superbowl qui nous permettent d'entrevoir l'avenir. Non pas le futur tel qu'il se produira, mais l'avenir comme les grands dieux de notre temps – multinationales, artistes populaires et athlètes multimillionnaires – aimeraient bien qu'il se concrétise. 

Étant le principal rendez-vous télévisuel avec ses 100 millions de téléspectateurs, le Superbowl et évidemment son spectacle de la mi-temps n'est pas qu'un simple divertissement, c'est aussi un message politique. 

En 2020, cette finale sportive a été le dernier événement majeur avant que le ciel nous tombe sur la tête. Le spectacle de la mi-temps avec les performances de Shakira et Jennifer Lopez nous promettait une Amérique inclusive, fière de ses racines latino-américaines, féministe et solidaire. 

2020 devait être la dernière page d'un chapitre sombre des États-Unis avec la présidence de Donald Trump qui s'achevait et le retour espéré de l'Uncle Sam sur la scène internationale. On a surtout fait face à une pandémie sans précédent dans l'histoire récente et des tensions intercommunautaires accentuées. 

Le spectacle de la mi-temps du Superbowl 2021 m'a donné froid dans le dos. Pour la première fois de mémoire d'homme, le spectacle de Weeknd n'était pas au milieu de la foule sur le terrain, mais loin dans les estrades. Même les danseurs qui ont accompagné la performance d'Abel Tesfaye se tenaient à distance entre eux. 

Oui Covid oblige, mais n'aurait-il pas été possible d'isoler tout ce beau monde deux semaines avant le spectacle pour permettre des chorégraphies normales? C'est tout de même le Superbowl, pas un quart de travail de nuit au McDo à Jonquière. C'est un petit sacrifice qui se demande. 

Si le monde de demain ressemble à ce qu'on a présenté, tout cela n'a rien de bien excitant. La Covid risque de nous ramener à l'individualisme le plus primaire. Avec une maladie transmise par voie aérienne, chaque être humain devient une menace dont il faut se méfier. 

Pas possible de jaser trop proche à l'épicerie, pas possible de se donner la main et surtout pas possible d'organiser un spectacle avec une vraie foule. 

Les jeunots de ma génération ne peuvent pas s'en souvenir, mais l'attentat du 11 septembre a aussi intensifié la peur de l'autre, de l'immigrant et du pratiquant d'une autre religion, mais la pandémie nous emmène sur un tout autre terrain. N'importe quel proche représente un risque. 

Facile de rejeter un ressortissant étranger, mais les conséquences de craindre son frère, sa cousine ou le voisin risquent de laisser des traces à long terme. 

D'ici à ce qu'on nous promette un monde meilleur à la télé, je propose de replonger dans les albums d'Astérix en attendant ciné-cadeau.