Bienvenu dans les années 50
Habitude étrange s'il en est une, chaque fois que je rencontre un aîné, je fais rapidement le calcul dans ma tête pour me figurer quand s'est déroulé sa jeunesse.
Souvent, les expériences passées définissent un individu, surtout celles qui se déroulent entre, disons, son quinzième et trentième anniversaire et qui vont le marquer pour le reste de sa vie. Et lorsqu'on connaît les grands événements qu'une personne a vécus, les modes et le milieu dans lesquels elle évoluait, on peut avoir une bonne idée de qui est l'aîné qui se tient devant nous.
Si je jase avec un bonhomme de 86 ans par exemple, eh bien j'ai en tête qu'il a eu 20 ans en 1955 et 30 ans en 1965. Il a de fortes chances que tous les changements qu'a soufflé la Révolution tranquille lui ont passé quelques pieds par-dessus la tête et qu'il était déjà établi et casé durant la vague hippie. Au contraire, si vous rencontrez un Montréalais âgé de disons 73 ans, ses jeunes années auront été probablement marquées jusqu'à un certain point par le dynamisme de la métropole avec Expo 67 et cie.
C'est le décès récent du prince Philip à 99 ans, conjoint de l'immortelle-jusqu'à-preuve-du-contraire Elizabeth II, qui m'a inspiré cette chronique. Le rôle de la Reine dans la vie du Québécois moyen est si ''évident'' qu'il faut l'enseigner du primaire jusqu'à l'université, alors vous dire quel héritage laisse Philip Mountbatten pour le Shipshois moyen est bien évidemment au-delà de mes compétences.
N'empêche, avoir 99 ans en 2021, ça signifie être né en 1920, avoir eu 20 ans en 1940 et 50 ans en 1970. Vous me pardonnerez ce commentaire de jeune effronté, mais c'est d'avoir été vieux longtemps!
Le citoyen moyen connaît mal la période 1920-1929. Elle est rapidement survolée dans le cursus académique sous le concept de RoaringTwenties, une période de prospérité économique qui a suivi la Grande guerre et qui concorde avec l'arrivée des premières voitures dans les campagnes québécoises, entre autres. Le Québec était alors dirigé par Louis-Alexandre Taschereau, duquel on devrait se souvenir pour avoir négocié l'entente finale qui aura permis d'élever l'eau du lac Saint-Jean et d'inonder des dizaines de milliers d'acres de terres cultivables sur ses bords.
Mais lorsqu'il est question des décennies 1950 et 60, il est beaucoup plus facile d'avoir en tête de quoi il est question. Si je vous dis « années 50 », vous penserez peut-être aux images d'époque qu'on a tous vues, à l'arrivée du rock'n'roll, mais il va falloir rapidement oublier tout cela.
La phrase suivante va peut-être vous choquer – en tout cas c'est l'effet que ça me fait – mais dans peu de temps nous serons de retour dans les années 50. Dans moins de 29 ans, nous débuterons la cinquième décennie de ce siècle. À proprement parler, nous sommes dans les années 20!
Ce qui me frappe dans ce constat, c'est qu'il est infiniment plus facile de s'imaginer (re)vivre les années 50 du 20e siècle que les années 50 du 21e siècle. Les voitures vont-elles finalement voler en 2050? Est-ce qu'elles existeront encore? Vivrons-nous un conflit armée majeur? Le Canada existera-t-il encore dans son état actuel?
L'impression que j'ai est que ce siècle est comme une traversée du parc des Laurentides en pleine nuit durant une tempête de neige. Chaque courbe et chaque année sont un danger potentiel et la seule façon de le traverser sain et sauf, sera en sachant ralentir.