Le 4 décembre 2024
Volume 42, Numéro 9
Opinion

Une question de point de vue

Il me suffit d'une journée frisquette à la mi-août pour me convaincre que l'automne est à la porte. Qu'importe que le mercure dépasse les 30 degrés Celsius par la suite, à compter de cette journée, c'est l'automne pour moi. 

J'ai cette impression chaque été, depuis plusieurs années. Immanquablement, je demande à tout mon entourage s'il remarque ces signes annonciateurs et généralement je suis le seul à voir l'automne à partir de la mi-août. J'ai l'impression que le soleil ne brille plus de la même façon, comme pour nous avertir de nous préparer pour l'hiver. 

Il fallut qu'on m'apprenne que l'angle de la terre face au soleil varie d'une saison à l'autre pour trouver une explication logique à ce sentiment. Le soleil, lui, reste le même tout au long de l'année. 

Une simple question d'angle, de point de vue finalement.        

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Il n'y a pas que la luminosité qui varie selon les points de vue, les idées et même les faits sont sujets à l'interprétation selon la façon qu'on les éclaire. La dernière mise à jour de Statistiques Canada, portant notamment sur la langue parlée au pays, en est un bon exemple. 

Non pas qu'il s'agisse de discuter si le recul du français au Canada est un fait – c'est quelque chose de mesurable et de mesuré et même de simplement observable a mari usque ad mare, d'un océan à l'autre. 

Au détour de la présentation des faits et des commentaires de différents chroniqueurs, se cache l'argument défaitiste habituel, la démographie d'une petite population francophone au milieu d'un océan anglophone, population francophone dont la croissance repose aujourd'hui essentiellement sur l'immigration. 

C'est cet argument massue habituel qui n'est finalement qu'une simple question de point de vue.

Cette idée repose sur une lecture historique qui veut que les francophones au Canada, aujourd'hui en infériorité numérique, soient simplement les descendants des Canadiens français qui existent comme peuple distinct depuis les premières décennies de la colonisation française de l'Amérique du Nord. 

Après le passage du pape François cet été, certains intellectuels autochtones ont demandé au souverain pontife de renier la doctrine de la découverte ou terra nullius (qui signifie ''territoire sans maître''), une prise de position de la papauté du début du 14e siècle qui a permis de donner des bases légales à la colonisation des Amériques et de l'Afrique et dont les effets sont toujours ressentis aujourd'hui. 

Il est à mon sens aussi difficile de s'attaquer à cette prise de décision qu'il est important de le faire. Il y a toutefois une doctrine à laquelle il serait possible de s'attaquer en très peu de temps et qui permettrait d'inculquer un plus grand respect et une plus grande compréhension de la réalité des peuples autochtones et de motiver les troupes à valoriser la langue française en brisant cette idée ''d'îlot isolé dans l'océan anglophone''. 

Il faut enseigner, dans le cursus scolaire régulier, l'histoire du peuple canadien-français d'avant 1534. 

La première réaction de ceux qui connaissent leurs dates: ''Il n'y a pas d'histoire des Canadiens français avant le premier voyage de Jacques Cartier!' ’ 

Eh bien, justement! Pour bien comprendre nos racines, il faut comprendre qu'avant la colonisation française de l'Amérique du Nord, nos ancêtres étaient des Français à part entière et pas seulement des futurs-colons qui attendaient impatiemment de s'embarquer sur une caravelle. 

Lorsque j'étais sur les bancs d'école au secondaire, le cours d'histoire était présenté dans une perspective territoriale: premières présences autochtones attestées, colonisation française, conquête anglaise et les différentes formes politiques qui ont suivi jusqu'au Canada actuel. 

Or cette vision passe sous silence à la fois les racines françaises de la majorité des Franco-canadiens actuels, les liens et les idées qui ont continué d'être échangés entre le vieux continent et les francophones d'Amérique du Nord et a pour résultat de renforcer ce sentiment d'isolement. 

En ce sens, toute l'histoire de la France d'avant 1534 est la nôtre. Saint-Louis a été le roi de nos pères, Charlemagne l'empereur de nos ancêtres en son temps et ce jusqu'aux premiers peuples celtes dont nous sommes les héritiers au même titre que les Français d'aujourd'hui. 

Près de 500 ans de présence en Amérique du Nord, dans un contexte politique et social souvent difficile, ont forgé une identité distincte pour les francophones canadiens, a fortiori pour les Québécois qui ont un état pour les représenter, mais il y a plus de 1000 ans d'histoire en sol européen qui est aujourd'hui complètement négligée. 

Pourquoi s'enfarger dans les fleurs du tapis en modifiant encore une fois le cours d'histoire, pensez-vous? À la fois pour briser cette idée d'isolement identitaire en rappelant nos racines françaises et pour s'attaquer à cette idée de présence ''naturelle'' en Amérique du Nord. 

Avec cette vision de collaboration avec les différentes Premières Nations dès les premières années de la colonisation et de l'image du coureur des bois en canot, on se donne volontairement l'impression de ne pas avoir eu d'impact négatif pour les peuples autochtones et que les impacts de la colonisation seraient attribuables à d'autres nations. 

On sent qu'un nuage de repli identitaire commence à couvrir le Québec; l'antidote se trouve peut-être dans une meilleure maîtrise de notre histoire.