Retour sur la campagne partie 2
À plusieurs égards, l'élection provinciale 2022 aura marqué un tournant important dans notre histoire politique. Après être clairement sorti du bipartisme avec l'élection de la Coalition Avenir Québec en 2018, l'écosystème politique poursuit son évolution en permettant à cinq partis de cohabiter au sein d'un système pensé pour n'en accueillir que deux.
Première réflexion sur la campagne, l'élection a fait beaucoup (trop) de perdants. La majorité des citoyens qui se sont déplacés pour voter (59%) ont perdu leur élection, encore une fois. S'ajoutent à ceux-ci les absents: 39% des personnes aptes à voter n'ont pas exercé leur droit. Si la non-participation aux élections était une formation politique, elle serait probablement aujourd'hui l'opposition officielle.
Dans la réalité, l'opposition officielle, le Parti libéral, a terminé troisième pour le nombre total de votes obtenus, derrière Québec Solidaire et le Parti québécois. Trouvez l'erreur.
Une Assemblée nationale si peu représentative du choix des Québécois va forcément alimenter un sentiment antisystème qui prend racine au Québec depuis une dizaine d'années. Surtout en considérant que le Parti conservateur du Québec, qui avouons-le, plaît à une certaine tranche de la population qui est dégoûtée par les partis ''traditionnels'', n'a pas élu de députés malgré près de 13% des votes.
François Legault a mis le couvercle sur les demandes de modification du mode de scrutin, mais il faudra impérativement rouvrir le débat pour éviter des problèmes beaucoup plus sérieux.
Seconde réflexion, la multiplication des partis n'a pas été de pair avec une multiplication des idées. Derrière les slogans et les lignes de partis, plusieurs députés et candidats défendent les mêmes idées. Pour le bénéfice des Québécois, l'idéal serait de faire après les élections un Match des étoiles avec les meilleurs scoreurs des partis, rassemblés soit selon l'axe gauche-droite ou fédéraliste-souverainiste.
Disons un groupe de députés de centre-gauche, qui met les questions nationalistes de côté au profit des enjeux climatiques. Il y a des gens, surtout chez les libéraux et les solidaires, qui pourraient s'entendre sur plusieurs points, probablement des candidats défaits du PQ également.
Une telle coalition ne se réalisera probablement jamais, mais j'ai la certitude que nous serions mieux servis comme électeurs s'il était possible de mettre les crayons les plus aiguisés de chaque parti ensemble au gouvernement.
En passant, si l'idée semble extravagante au Québec, ceci est la norme dans des dizaines de systèmes politiques au scrutin proportionnel. L'exécutif est formé à partir des listes des différents partis.
Troisième réflexion, les gens se désintéressent des idées proposées par les partis politiques. À parler avec mon entourage, plusieurs personnes ont voté pour la CAQ uniquement pour les chèques proposés. Nous sommes revenus au temps où les partis promettaient des électroménagers contre un vote.
Il y a beaucoup d'efforts investis pour faire connaître les idées des partis. Le chef du Parti québécois Paul Saint-Pierre Plamondon a mis les bouchées doubles pour faire connaître ses idées, des propositions réfléchies qui ensemble s'approchent d'un projet de société. Même chose pour QS, bien qu'on sente l'influence de courants contradictoires au sein du mouvement: la base rattachée à des propositions sociales plus radicales et des stratèges qui travaillent à démarginaliser le parti.
Radio-Canada s'est aussi réinventé en proposant deux nouvelles formules de débat destinés à permettre aux chefs de mieux faire connaître leurs idées.
Et malgré tout cela, les intentions de vote puis les votes réels n'ont pratiquement pas bougé tout au long de la campagne. C'est à se demander s'il y a encore des indécis ou ceux qui n'ont pas de préférence pour un parti restent simplement à la maison à écouter Netflix le jour de l'élection.
Plusieurs partis ont eu beaucoup de difficulté à recruter des candidats intéressants. On a vu, dans tous les partis, des candidats qu'il vaudrait mieux tenir loin des centres décisionnels pour le bien-être de tous. Il y a assurément plusieurs facteurs qui expliquent la perte d'intérêt pour la chose politique, mais le débuté conservateur Alain Rayes a certainement mis le doigt sur une raison importante: l'intimidation en ligne.
Mention spéciale au député du PCC qui a élevé le débat en dénonçant le harcèlement dont lui-même et d'autres sont victimes en ligne. Le sujet s'est retrouvé brièvement dans la campagne avant que la partisanerie reprenne le dessus. C'est un fléau dont il faudra nécessairement discuter pour intéresser des personnalités nouvelles à l'engagement politique.
Quatrième et dernière réflexion: l'absence totale des partis tiers dans la campagne. En plus des cinq partis mentionnés plus haut, trois autres partis ont présenté des candidats dans au moins 10% des circonscriptions (25 candidats): le Parti vert, Démocratie directe et Climat Québec mené par Martine Ouellet.
De nos jours, le propriétaire du dépanneur du coin est capable de faire une publicité en ligne pour vendre ses barres Mars ou son essence Suprême le jeudi. Difficile de comprendre pourquoi une formation, même petite comme Climat Québec, n'ait pas réussi à faire connaître ses idées sur le web en investissant quelques centaines de dollars en publicité.
Personnellement, je n'ai vu en ligne que les publicités du Parti conservateur du Québec, autant dire qu'ils ont perdu leur argent en tentant de me séduire.
François Legault aura la responsabilité de s'assurer que la démocratie pourra s'exprimer à l'Assemblée nationale malgré l'avalanche caquiste. Il faudra que l'opposition ait les moyens de s'exprimer pour éviter que les citoyens souhaitant s'exprimer n'aient d'autre possibilité que de le faire dans la rue.