Palabre d’autobus
Il y a quelque chose de fascinant dans les interactions humaines. Les mots utilisés sont d'aujourd'hui, mais la façon de vivre nos relations avec nos comparses humains remonte aux origines de l'homme.
Je trahi mon petit côté antisocial, mais je dois avouer que depuis que je suis tout jeune, j'ai toujours aimé me tenir un peu à l'écart pour écouter les conversations autour de monde.
Je n'écoute pas tellement les mots utilisés, je me questionne sur quels messages les interlocuteurs tentent de transmettre.
Je trahi mon petit côté antisocial, mais je dois avouer que depuis que je suis tout jeune, j'ai toujours aimé me tenir un peu à l'écart pour écouter les conversations autour de monde.
Je n'écoute pas tellement les mots utilisés, je me questionne sur quels messages les interlocuteurs tentent de transmettre.
Une conversation entre gars par exemple, c'est très particulier. Dès les premières secondes, l'un se présente en position d'autorité et l'autre de soumission. Le premier peut raconter la plus invraisemblable des histoires, le second écoutera ses racontars. Le parleur en chef n'est peut-être pas le mieux informé ou le meilleur orateur; c'est généralement celui qui dégage le plus de confiance.
Il y a quelques jours, j'ai eu l'opportunité extraordinaire de subir seize heures d'autobus entre Havre-Saint-Pierre et Sherbrooke. C'est l'expérience la plus marquante que 250$ peut vous offrir.
Comme les divertissements sont rares, les deux options pour faire passer les heures sont de parler ou d'écouter.
Pour parler, encore faut-il avoir quelque chose à dire à des inconnus rencontrés au petit matin. Et c'est une chose d'avoir quel-que chose à dire, nous en est une autre de parler pendant le trois-quarts de la journée avec de purs incon-nus sans dévoiler trop de détails sur sa vie privée.
C'est donc l'art perdu d'écouter que j'ai pratiqué pendant une bonne partie du trajet. Écouter n'est pas simple. Il y a les conversations qui nous sont adressées et les autres dont on peut saisir les brides selon le bruit ambiant. Pour les premières, il faut d'abord s'intéresser au contenu et aux mots employés pour éventuellement répondre quelque chose de minimalement intelligent qui permette de rassurer le parleur en chef. Mais pour les conversations saisies au hasard, c'est liberté totale.
Avec un peu d'imagination – et avec seize heures de trajet, il est facile de s'imaginer un tas de choses – il est facile de se transporter dans le temps et de s'imaginer le contenu des conversations à la préhistoire.
Deux travailleurs au statut précaire montés à bord à Sept-Îles discutaient des meilleures opportunités d'emploi dans leur domaine. Envoyés à la préhistoire, ils auraient certainement discuté des meilleurs territoires de chasse pour assurer leur survie.
Un groupe d'adolescents est embarqué à Baie-Comeau en direction de Québec pour vivre leurs premières aventures en ville. J'étais malheureusement trop loin pour saisir tous les détails de leur conversation, mais l'excitation les rongeait très évidemment. Au Moyen Âge, ils parcourraient plutôt les chemins pour se joindre à une croisade.
Il y a les personnes plus âgées, qui ne parlent pas beaucoup, mais qui se tiennent avec beaucoup de dignité comme s'ils étaient investis d'une mission très importante qui justifirait leur voyage. Un genre de pèlerinage des temps modernes dont seuls les pèlerins saisissent l'importance.
Et après avoir réfléchi à tout cela pendant des heures, il me restait du temps pour penser aux conversations du futur. Dès aujourd'hui, l'intelligence artificielle est assez développée pour soutenir d'elle-même une conversation sensée.
Ce sera peut-être un jour offert en option pour les longs trajets, un robot pour échanger sur des sujets intéressants plutôt que d'écouter les bobards à deux sous de son voisin de siège.
Mais c'est peut-être là tout le côté intéressant des relations sociales qui se perdra: l'art d'échanger des sous-entendus, d'en mettre trop pour impressionner la galerie, de se croire soi-même.
Les conversations avec les robots, non merci!