La grammaire? N'en parlons pas!
Longtemps, j'ai détesté les cours de français. Avec mes longs textes partant dans tous les sens, j'étais immanquablement pénalisé.
La grammaire? N'en parlons pas! Un véritable fossile sorti de la Renaissance et de l'Académie française avec des règles sans queue ni tête.
Au mieux, une langue est un outil archaïque pour transférer des idées, me disais-je. La première technologie avant l'écriture et l'internet.
Au pire, un cadre trop rigide nuisant aux communications entre les Hommes.
Puis graduellement, j'ai changé d'opinion…
À force d'utiliser d'autres langues, j'ai découvert à quel point le français est d'une efficacité redoutable. Nous avons à notre disposition un arsenal de règles, mots et structures pour exprimer avec une précision chirurgicale les réalités les plus complexes.
Par un après-midi pluvieux, j'ai fait l'exercice d'ouvrir ce vieux grimoire de sorcellerie qu'est le Bescherelle. Passé antérieur, imparfait du subjonctif, plus-que-parfait ou passé simple: tant de modes de conjugaison qui permettent d'exprimer une idée avec beaucoup d'exactitude.
Véritable révélation puisque certains de ces temps verbaux ne sont pas enseignés dans le cursus régulier. En découvrant leur usage exact, j'ai eu la même impression qu'on a après avoir mis la main sur le bon outil pour faire un travail compliqué.
Puis je suis rapidement tombé des nues. Tous ces temps de verbes complexes et ces mots qui se cachent dans les méandres des dictionnaires ne sont utiles que si l'interlocuteur sait comment les employer. C'est vrai à l'échelle d'une conversation, mais encore plus effrayant à l'échelle d'une population entière.
Qu'adviendra-t-il si nous oublions complètement l'usage de ces règles grammaticales sous prétexte de simplifier la langue?
Puisque nous forgeons généralement nos idées dans notre esprit mais aussi dans notre langue maternelle, cela affecte également notre capacité de réfléchir.
Ce n'est pas ce petit quart d'heure à lire le Bescherelle qui m'a rendu plus intelligent ou meilleur en français, mais j'ai certainement changé de perspective depuis l'époque où mes erreurs de français étaient identifiées par un gros cercle rouge.
Une langue, et le français a fortiori, n'est pas un outil complexe qui permet la communication, mais une matière en soi. Comme le marbre est la matière du sculpteur. Le bois peut être sculpté, mais c'est le marbre qui donne les statues les plus remarquables.
Un de mes voisins dit souvent que deux vies seraient nécessaires, la première pour apprendre et la seconde pour en profiter. C'est vrai pour nombre d'apprentissages nécessaires, la maîtrise de sa langue y compris.
Lorsqu'on se compare à d'autres régions du monde, on comprend rapidement que nous avons une relation bien étrange avec notre langue maternelle. Pas seulement dans notre volonté de toujours chercher à la simplifier, mais aussi dans notre amour si intense pour notre joual et nos régionalismes.
La plupart des locuteurs hispanophones en Amérique s'efforcent de parler au mieux l'espagnol. Dans les Antilles où le français s'est enrichi de nombreuses influences, ces dialectes sont devenus des langues à part entière (créole haïtien, créole martiniquais, etc.), mais pas au Québec.
En Haïti, il est possible de parler couramment le créole et de maîtriser le français, mais impossible de parfaitement jumeler parler Québécois et Français international au Québec. Dans notre volonté de ''bien parler'', nous demeurons dans un équilibre fragile entre un objectif académique de s'approcher du français international (dit Français de France) et notre français familier que nous utilisons en famille. Équilibre qui a évolué pour s'ouvrir de plus en plus au français familier.
Si vous voulez un exemple très parlant de cet équilibre, retrouvez l'entrevue que l'écrivain franco-américain Jack Kerouac a accordée à Radio-Canada dans les années 60 puis écoutez le téléjournal régional. Vous remarquerez que, dans les médias du moins, le français utilisé s'est beaucoup rapproché du français utilisé couramment.
Pour en revenir à nos moutons, la meilleure voie reste celle de mon voisin Paul-Aimé. Passez sa vie à apprendre, demeurer curieux et aussi essayer d'en profiter sans attendre une deuxième vie!