Le 22 décembre 2024
Volume 42, Numéro 10
Opinion

Cochez oui , cochez non

En temps normal, on peut reléguer ces disciplines au curriculum obligatoire sans causer de trop gros problèmes. Mais lorsque vient le temps de se décider à inviter un ancien Nazi au parlement canadien, c'est justement à ce moment que les sciences humaines deviennent intéressantes. 

Glissez une personne avec une formation d'historien au bon endroit dans les cercles décisionnels, le pays aurait évité une humiliation sur la scène internationale et les détails de l'incident n'auraient probablement pas été connus avant plusieurs années. 

Durant la Deuxième guerre mondiale, le Canada, tout comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni était allié de l'Union Soviétique. Par extension, quiconque s'est battu contre les Soviétiques était ennemi du Canada. Et on peut se questionner sur les valeurs morales de tous les membres de la Waffen-SS, la troupe de choc de l'Allemagne hitlérienne qui a largement contribué à l'Holocauste. 

Il y a les bons et les méchants et peu de place pour les zones grises durant un conflit armé. 

Mais assez pour la parenthèse historique, l'incident révèle quelque chose de plus troublant qui traverse les gouvernements et organisations à travers le pays. Une sorte de paralysie qui empêche le débat et la réflexion. 

Plutôt que d'espérer des administrateurs, qu'ils soient élus ou nommés, une prise de décision intelligente en fonction de leurs capacités et de leurs valeurs, on s'enferme volontiers dans des objectifs idéologiques impossibles à questionner. Autrement dit, des cases à cocher. 

Un aîné? Oui, c'est toujours bon d'inviter un vieux pour se donner une bonne image avant la prochaine élection! Un immigrant bien intégré au Canada? Super, le Canada de Justin Trudeau est un pays inclusif et accueillant! Un ancien combattant (et ennemi des Russes)? Encore mieux, nous devons présenter une image forte d'opposition à Vladimir Poutine et le gouvernement libéral donne une image beaucoup plus pacifiste que les Conservateurs ce qui ne plaît pas à tous. 

Bien humblement, je suis bien trop loin des endroits où se prennent des décisions politiques pour en témoigner personnellement, mais mon travail m'emmène à me plonger dans les différents programmes du gouvernement fédéral et je peux vous assurer que ce système de ''petites cases à cocher'' existe dans l'administration fédérale. On peut penser que le corps politique n'échappe pas à ce terrible rouleau-compresseur de la non-réflexion. 

Être borné, comme on dit en bon québécois, est un défaut et non un péché. Ce qui est inquiétant, c'est l'incapacité de mettre les freins avant de commettre des erreurs. 

Autre pays et autre dossier, l'ancien président français Nicolas Sarkozy a fait une sortie publique en France plus tôt cet automne pour proposer que l'Ukraine commence des négociations de paix avec la Russie en se préparant à devoir reconnaître la perte de certains territoires sous contrôle russe. 

Une proposition défendable qui permettrait de sauver des vies des deux côtés, mais qui ferait mal à la fierté nationale ukrainienne. 

Pour cette idée, Nicolas Sarkozy a subi des attaques extrêmement agressives dans les médias français qui l'accusaient de défendre les intérêts de Vladimir Poutine. Si un ancien président ne peut pas exprimer de telles idées, il est évident que le commun des mortels emprunt d'un élan pacifiste n'osera pas faire la même proposition. Et ainsi, on demeure dans le même cercle de violence. 

Et n'entrons pas dans toutes les décisions illogiques et contre-productives prises dans le système de santé, le système d'éducation, l'industrie de la construction, les pêcheries ou l'agriculture. Notre imprimeur risque de manquer d'encre… 

Laissé à lui-même, l'homme est un loup pour ses semblables, il est donc nécessaire de se dicter des lignes de conduite pour se surpasser. En ce sens, il est louable que nos gouvernements épousent des valeurs modernes pour contribuer à l'amélioration de la société, mais à une époque où des professionnels sont nécessaires pour chaque changement administratif, pourquoi ne pas appliquer la même logique pour les valeurs et les décisions éthiques? 

Après les consultants de ressources humaines, les experts en creativethinking et autres gurus, quand verrons-nous des philosophes, des sociologues et des historiens devenir consultants pour diminuer notre nouvelle incompétence collective en matière de sciences humaines?