Le 21 novembre 2024
Volume 42, Numéro 9
Opinion

Comme un tremblement de terre

Mois après mois, l'hécatombe se poursuit. À force de parler en centaines, les chiffres perdent leur signification. Au Canada, des milliers, voir des dizaines de milliers de journalistes ont perdu leur emploi au fil des dernières années. Bell, TVA, Radio-Canada ou Metro sans parler des dizaines de médias régionaux qui peinent à survivre.

Ce que les chiffres cachent, c'est la perte de savoir-faire qui devient peu à peu irréversible. Ces journalistes qui quittent le monde de l'information ne sont pas seulement des jeunes diplômés, mais beaucoup de vétérans qui prennent une retraite anticipée, qui retournent aux études en vue d'une seconde carrière ou qui trouvent un autre domaine où leurs compétences leur ouvriront la porte à des conditions de travail plus décentes.

Ces journalistes d'expérience, qui ont souvent connu un monde pré internet où l'information pouvait circuler plus lentement et de meilleure qualité, ne transmettront pas leur savoir aux jeunes générations. L'impact se fera ressentir à long terme. Un autre coup dur à un moment où le journalisme tente de définir sa place au 21è siècle.

J'ai appréhendé le changement de profession comme je vis un déménagement. Les choix définitifs me font peur. Après avoir quitté un appartement où une ville, on se dit qu'il sera possible d'y retourner le moment voulu. Mais à constater les annonces de mises à pied et de fermeture de journaux qui s'enchaînent, j'ai l'impression d'être à la place de quelqu'un qui voit la destruction de son village natal après un tremblement de terre.

À voir l'effet de la catastrophe avec le recul, on se demande sérieusement s'il sera possible un jour d'y retourner.

Et il y a quelque chose de fascinant dans cette situation. Personne ne remet en doute la pertinence du journalisme, qui consiste à recueillir des informations d'intérêt public et à les formuler selon une structure qui facilitera la compréhension du public visé. Les grands décideurs, qu'ils soient politiciens ou gens d'affaires, sont pour la plupart très bien informés. C'est l'industrie en soi qui ne sait pas réinventer son modèle d'affaires aujourd'hui. Plusieurs cerveaux se consacrent à cette question et très peu de solutions sont trouvées. C'est comme si la multiplication des moyens de communication a enlevé toute valeur à l'information.

Plus encore, beaucoup de mes anciens collègues qui ont, comme moi, comme principal savoir-faire la communication journalistique se trouvent de bons emplois dans d'autres domaines où leurs qualités sont grandement appréciées et utiles à leur nouvelle organisation. Signe que même le marché du travail ne met pas en doute la pertinence du travail journalistique. Depuis des lunes, on répète que le journalisme mène à tout, pourvu qu'on en sorte. Cela n'a sûrement jamais été aussi vrai qu'aujourd'hui.

L'enjeu toutefois n'est plus d'en sortir, mais de pouvoir continuer à y entrer.

Samizdat

Et après? Je ne peux m'empêcher de penser aux régimes autoritaires en fin de vie, comme l'Union Soviétique des années 80. La vie intellectuelle bouillonnait, cachée sous les manteaux, dans les ruelles et partout où on pouvait s'échapper du regard de la censure. Un mouvement irrésistible pour faire vivre la vie intellectuelle, le journalisme inclus.

Vivrons-nous quelque chose de similaire après la fermeture du dernier journal? Difficile à dire.

Difficile à déterminer s'il y a vraiment un appétit du public pour être informé ou si on peut se contenter d'être simplement diverti. C'est un peu le choix entre le fast-food bien gras et une alimentation saine. Le choix logique est la santé, mais il faut faire le choix consciemment.

J'ose croire qu'il y aura toujours un besoin pour l'information, que ce besoin surgira des ténèbres après la dernière secousse sous le plancher des salles de nouvelles. Ce que j'espère toutefois sans en avoir l'assurance, c'est qu'on devra forcément réinventer le modèle économique de l'information pour continuer à éduquer le grand public et non seulement une poignée de fidèles qui demeurent abonnés aux différents médias.

Nous pouvons déjà appréhender le moment où l'information n'est plus discuter sur la place publique avec le blocage des médias canadiens sur Facebook. Et étant donné l'importance du réseau social, on voit déjà les effets dans la vrai vie. Les sujets d'actualité font de moins en moins parti des discussions courantes, car chacun doute que son interlocuteur soit au courant de la même information.

Un autre coup extrêmement dur fut la fin des éditions papier en début d'année pour les journaux des coopératives d'information. Je suis persuadé que d'un point de vu financier la décision était tout à fait légitime, mais pour ce qui est de l'impact de l'information sur la place publique, je crains que ce soit désastreux.

Malgré tous les efforts pour entretenir un cercle de contacts, je suis convaincu que l'idée de voir son nom imprimé dans le journal disponible sur le comptoir au dépanneur du coin pèse beaucoup dans la balance. Personnellement, des sources interviewés pour l'écriture d'articles m'ont dit à quelques reprises avoir hâte de lire leur citation dans le journal le lendemain.

Si les médias ont pu constituer le quatrième pouvoir de nos démocraties occidentales, c'est par la méthode journalistique et leur capacité d'atteindre les masses. La rigueur journalistique à elle seule ne sera pas suffisante pour maintenir un effet sur le politique.

Communautaire, ensemble sur le radeau de survie

Les médias communautaires ont la chance, pour certains d'entre-eux (et surtout les plus petits), de ne pas être dans le même bateau que les médias traditionnels. Leur mode de financement est parfois plus solide et les gouvernements ont su mettre en place des programmes pour assurer leur survie. On parle bien de survie.

Malgré tous les efforts et la passion de leurs artisans, très peu réussissent à combler à eux-seuls la couverture journalistique de leur territoire. Plusieurs de ces publications reposent sur le travail bénévole, ce qui n'est pas un mal en soi, mais qui freine leur professionnalisation et qui ne leur permettra pas au final de remplacer complètement les médias traditionnels.

Ici et là, des partenariats se créent entre le communautaire et les grands médias et c'est tant mieux. Il faut simplement continuer à chercher des solutions différentes pour ces deux familles médiatiques qui ne pourront pas se remplacer l'une et l'autre.

Une façon de participer à la recherche de solutions pour la crise des médias (et de ne pas laisser son esprit être envahi de Netflix et de vidéos drôles de chat) est de s'abonner à un média.

Pour 25$ par mois vous serez la personne la mieux informée de votre entourage, vous pourrez vous former une opinion sur des dossiers importants et vous saurez prendre position selon vos valeurs.

Quelques dollars bien investis.