Depuis quelques années, Rolande et moi rêvions d'une croisière nordique qui nous permettrait de visiter l'avant-pays, celui de l'Est, qu'on appelle aussi la Basse-Côte-Nord. Plusieurs de nos amis ayant fait ce périple initiatique nous avaient conseillé le navire Bella Desgagnés du Relais Nordique. Nous y songions depuis l'an 2020, mais la pandémie avait refroidi nos ardeurs. Cet été fut donc une occasion magnifique d'utiliser ce navire dont la première mission est de ravitailler les nombreux villages qui parsèment la partie nord du Golfe Saint-Laurent; un service essentiel étant donné qu'il n'y a pas de route terrestre pour relier certains villages. Ce qui est complémentaire à cette activité de relais et qui nous est offert avec le Bella Desgagnés, c'est la portion du navire qui est réservée aux touristes, soit une capacité d'une centaine de croisiéristes.
Rimouski Sept-Îles, Port-Menier (Îles Anticosti), Havre-Saint-Pierre, Natashquan, Kegaska, la Romaine, Harrington-Harbour, Tête-à-la-Baleine, la Tabatière, Saint-Augustin, Blanc-Sablon, un festival de pleine mer et côtier qui prend en moyenne 7 jours; les conditions de navigation peuvent jouer un peu. Le service de cabines, de restauration, d'accommodations de toutes sortes fut soutenu, chaleureux, impeccable. Le personnel y est jeune, courtois, bienveillant et souriant, cela inclut le capitaine et ses assistants qui n'ont pas encore 40 ans. L'ambiance a toujours été à la détente, à l'aventure et à la découverte de beautés originales et rares. Chaque endroit où nous accostions était une carte postale à explorer. La jeunesse des gens rencontrés, les paysages marins à couper le souffle, le côté unique de chaque petite communauté nous rappelaient avec force la beauté et la grandeur du Québec et de ses habitants.
À partir de Natashquan, comme il n'y a plus de routes, les villages vivent un peu en autarcie, c'est-à-dire qu'ils tendent à se suffire à eux-mêmes, développant un sens communautaire profond, bienveillant et axé sur la débrouillardise. Tous se connaissent et vivent sur le continent comme sur une île. L'entraide devient un service essentiel et la proximité avec la nature (forêts et mers) invite à être philosophe et à aimer la vie dans ce qu'elle a de plus simple, de gratuit. Face à cette immensité, l'homme retrouve sa place humblement, dans la plénitude. Comme le fleuve et le vent du large se donnent habituellement le mot pour refroidir les ardeurs des voyageurs néophytes, notre semaine en mer fit exception à la règle; il a fait beau et chaud tout le temps et l'abondance de vêtements chauds, qui encombraient nos valises s'avéra parfaitement inutile.
Oui nous avons vu des icebergs flotter à Blanc-Sablon, village frontière entre le Québec et le Labrador où il y a un différentiel de temps de 01h30 avec le Québec.
Oui nous avons marché sur les trottoirs de bois de Harrington-Harbour, lieu de tournage du film la Grande Séduction en 2003.
Mais ce qui nous a le plus émerveillés, ce fut de retrouver notre confrère journaliste de la Vie d'Ici, Michael-Henri Lambert, à Tête-à-la-Baleine. Il nous attendait sur le quai, les bras ouverts. Nous étions tout sourire, presque incrédules de nous retrouver enfin en présentiel comme le veut la nouvelle formule. Michael nous a amenés avec son camion au village qui se trouve à 13 kms du fleuve. Il nous a fait visiter son patelin, son milieu de vie avec force détails. Sa gentillesse naturelle nous a une fois de plus charmés. Les routes ne sont pas asphaltées ni entretenues l'hiver, mais le cœur est chaleureux et notre hôte enthousiaste. Michael est conseiller municipal et aspire à la mairie. Dans ces espaces lointains, les responsables municipaux sont nommés par les autorités gouvernementales, donc pas d'élections. Ces quelques heures passées avec notre ami, presque notre fils, furent d'une extraordinaire qualité, mémorables.
L'autre endroit où l'accueil fut du type V.I.P., ce fut à Port-Menier, sur l'île d'Anticosti.
Au bout du quai, le plus long au Canada, nous attendait Mathieu Gravel; celui-ci est directeur général du village où il réside depuis environ 4 ans. Il a quand même une maison ici à Shipshaw, sur la route Coulombe. Comme Rolande l'avait mis au parfum de notre visite plus tôt, il s'est fait une joie de nous faire visiter cet endroit unique. Se sont joints à lui pour personnaliser l'accueil, de nombreux petits cerfs qui ont tôt fait d'entourer Rolande et son sac de céréales dont ils raffolent. En plus de visiter le musée, l'hôtel de la Sépaq, l'école, les fondations du château Menier, notre hôte nous a parlé de ses projets pour la ville. Là-bas tout le monde se connaît et ses fils ont fréquenté l'école quelques années. Comme partout au Québec, les problèmes de recrutement de main-d'œuvre qualifiée sont monnaie courante, mais l'enthousiasme des habitants et la beauté extraordinaire de l'île attirent encore des jeunes qui désirent donner quelques années de leur vie dans la tranquillité insulaire et l'esprit communautaire.
Dans cette expédition, il est de coutume d'accoster à chaque village à l'aller comme au retour. Le travail de ravitaillement, comme les déplacements d'ailleurs, se font de jour comme de nuit. Le grutier du bateau a donc un travail à temps plein. Au retour à Rimouski, nous étions heureux de retrouver notre auto et la terre ferme, mais déjà nostalgique, de tant de précieux souvenirs. L'immensité du Québec est phénoménale. Pourtant à peu près au même moment, notre petite- fille Alyce faisait un travail de recherche archéologique avec une équipe de l'université Laval, en territoire inuit, à Kuujjuak dans la Baie d'Ungava, à 1000 kms plus au nord de Natashquan. Et le Québec étire ainsi sa limite septentrionale à 2000 km de Québec jusqu'à Cap Wolstenholme. Presque inimaginable!