Le 22 février 2025
Volume 43, Numéro 2
Une tranche de mon parcours
Mot à Mot

Une tranche de mon parcours

On est déjà le 27 novembre, veille de mon anniversaire de naissance. Après 77 ans de vie active, je fais un arrêt pour vous partager une tranche de mon parcours.

Mais, avant tout, je veux dire le plus gros des mercis à Dieu de m’avoir placée au quinzième rang de la famille Bédard de Québec. Ma mère, Juliette Auclair était dotée d’une énergie incomparable. Quant à mon père, Alphonse Bédard, il était le compagnon idéal comme chef de famille. Mais croyez-moi, Il avait compris dès le départ comment fonctionnait une bonne équipe dans la vie. Mon père était diplomate, généreux, il était la bonté même.

Pensons un peu à sa logique. Si une personne vous donne les cordeaux (la direction) d’un projet en main, ne ferez-vous pas votre possible pour lui prouver combien il a raison de vous faire confiance. Ma mère avait les qualités d’un chef:courage, détermination, (capacité physique malgré sa petite taille et son poids 125 livres) et toujours de bonne humeur. Sans avoir fréquenté l’université, elle possédait toutes les aptitudes nécessaires à l’obtention d’un diplôme, psychologie, physiologie, théologie, économie,tous ces grands mots qui se terminent par ies en plus d’être une bonne ménagère en tout. 

Cuisinière inégalable, si elle avait eu un restaurant, elle aurait fait fortune en peu de temps, car elle avait beaucoup d’imagination. Avec un rien elle préparait des repas aussi alléchants que délicieux. Le dimanche midi, elle nous servait un repas de luxe, soit un rosbif ou un poulet, et elle confectionnait divers repas avec les restes de ces viandes les autres jours de la semaine sans jamais faire de gaspillage. Déjà à partir des années 1920, cette dame avait compris la valeur de la récupération, elle était avant-gardiste. 

Couturière aux mains de fée, elle nous cousait de petites merveilles avec les vêtements devenus trop petits pour nos aînés(es) ou encore avec des fringues qui lui venaient des voisins; autrement dit, elle donnait une deuxième vie aux accoutrements que les voisins délaissaient. Avec les tissus des vêtements qu’elle avait décousus, lavés, repassés, elle avait fabriqué deux magnifiques ensembles, un bleu pour ma soeur Gisèle et un vert pour moi. Si je me rappelle bien, c’était en 1966, année précédant la fabuleuse année de mon mariage avec René.

Oui, tous les soirs nous partions après le souper pour aller sur la terrasse Dufferin. En partant vers 6 h 30, nous montions à pied jusqu’au Château Frontenac, puis nous nous dirigions vers la promenade. Nous faisions les cent pas, c’est le cas de le dire, un peu pour nous dégacer, nous changer les idées et beaucoup dans l’espoir de rencontrer un p’tit t’chum. Vers 10 heures, nous reprenions la descente qui nous menait près du vieux port, et en suivant le boulevard Charest puis la rue St-Joseph, nous nous dirigions vers notre logis, jusqu’au 752 de la rue St-Bernard à St-Malo, Québec

Un jour, ma soeur Monique, qui faisait une balade avec son époux, nous invite à les accompagner. C’était la journée internationale du scoutisme et toutes les troupes étaient rassemblées sur les plaines d’Abraham. Pour nous, quelle belle occasion de revoir les amies avec lesquelles nous avions partagé tant de joies, d’apprentissages. Fin de journée, nous repartons à pied pour nous rendre à la maison. 

En route, une voiture s’arrête et deux beaux jeunes hommes nous invitent à y monter. Je dis tout bas à ma soeur Gisèle: laisse-moi le conducteur, il est de mon goût. En effet, il m’a tapé dans l’oeil. Nous avons de bonnes conversations à propos de tout et de rien.

Après un arrêt au café de La Place D’Armes près du Château Frontenac, ils nous reconduisent chez-nous. Ils n’ont pas encore vu où nous habitons, et en moi-même je n’ai pas vraiment hâte qu’ils nous déposent devant notre maison qui est recouverte de papier noir. Mais, une fois rendus au 752 rue St-Bernard, à St-Malo, une surprise nous attend. 

Ma mère, inquiète de ne pas nous avoir vues revenir en même temps que ma soeur et son mari se faisait du sang d’encre. Le fait de nous voir arriver dans une voiture la met en colère. Nous nous empressons de descendre de voiture et de nous asseoir sur une marche devant la maison. Au fond de moi, je suis certaine qu’il n’y aura plus de rencontre entre nos p’tits t’chums et nous.

Mais miracle, René me demande s’il peut téléphoner et revenir me voir. Je frémis de bonheur. Je ne me fais pas d’illusion, il habite au Saguenay. Il a le profil du personnage de mes rêves, bel homme, galant, généreux, doux, et surtout il est respectueux. Tout au fond de moi, il a réveillé de petits chatouillements de bonheur. Il me téléphone tous les soirs et il vient me voir chaque fin de semaine. Mais presqu’un an plus tard, nous envisageons de nous marier. Nous savons que notre amour est assez fort pour que nous passions le reste de nos jours ensemble. Mais ce n’est pas si facile que je croyais. Ma mère s’oppose à mon départ et par le fait même à notre mariage. Je n’ai pas encore mes 18 ans et il me faut la signature de mes parents. Un jour, alors que nous discutons avec mon père, voyant notre sérieux, il dit à René: "Ne soyez pas inquiets, je vous accorderai mon assentiment lorsque vous serez prêts". Ne pouvant absolument pas amener le sujet dans la maison, je décide d’acheter ma robe de mariée, de réserver l’Hôtel Marino près des Portes St-Jean à Québec pour le repas. Puis je me rends à l’Église St-Malo réserver la date de notre mariage 19 août 1967. 

Ma mère, allant faire chanter une messe pour une personne décédée, apprend par le curé la grande nouvelle lorsque celui-ci lui dit: “Vous avez une fille qui se marie Madame Bédard?” 

Lorsqu’elle revient à la maison, elle me dit tout bonnement: “Tu sais Jacqueline, j’ai appris par monsieur le curé que tu as réservé la date pour ton mariage, je suis certaine que tu sais ce que tu fais. Je t’accorde ma confiance, mais tu vas me manquer.”

C’est ainsi que mon père, cet homme si généreux et si discret a été un peu complice de notre bonheur. Notre vie commune a duré de 1967 à 2004, date du décès du premier amour de ma vie. Merci René pour tant d’années de bonheurs partagé; tu resteras à jamais dans mon coeur.