Le 19 avril 2025
Volume 43, Numéro 4
Saviez-vous Que...

Saint-Jean-Vianney, la catastrophe

Riche et inébranlable, l'œuvre de mémoire se poursuit depuis 54 ans pour les gens de Saint-Jean-Vianney. Paradoxalement, ce sont les beaux jours de mai qui ravivent, pour ceux qui se souviennent, l'immense catastrophe de Saint-Jean-Vianney avec son lot de décès, de détresses et d'arrachements.

Un impact sombre qui sera suivi d'une deuxième et non moins douloureuse conséquence, celle de la fermeture définitive du village, ce qu'Antonine Maillet aurait sûrement appelé: «le grand dérangement» un parlant de son Acadie. Le traumatisme individuel, local, régional et même national devait engendrer, face au vide immense de cette perte cruelle, un important besoin de se souvenir du 4 mai 1971, mais aussi de la vie d'avant. Après le décret du gouvernement Bourassa en 1972, l'ancien village est devenu «zone d'évacuation permanente et aucune maison ne pourra plus être construite à l'intérieur de ce périmètre. » 

Dans ce contexte difficile, comment faire œuvre de mémoire? On sait que sur le long terme, l'histoire est racontée par les pyramides, les monuments, les cimetières, les maisons mais aussi par les livres, les arts, les artefacts, les journaux, les films, les documents audio, mais aussi par la parole vivante, par l'amitié qui témoigne des esprits et des cœurs. 

Après 2 générations de rappels annuels des événements, la mémoire vive et détaillée de ce sombre chapitre de notre histoire disparaît lentement et inexorablement avec le décès de ceux qui l'ont vécu. L'importance de faire œuvre de mémoire est donc un enjeu qui inspire toujours le comité dédié à cette noble cause qu'il poursuit depuis 50 ans, à travers un engagement constant. 

Voici un résumé de comment se sont concrétisées, malgré les restrictions, les assises de cette détermination à ne jamais oublier.

En 1974, réalisation du monument par le sculpteur Serge Beaumont. Une initiative de la Jeune Chambre de Saint-Jean-Vianney-Shipshaw autorisée dans la zone dite « tampon », après quelques années de démarches. Il s'agit d'un bloc de granite de 5 tonnes surmonté d'un oiseau en aluminium qui s'envole quand son nid s'effondre, à l'image des gens de S.-J.-V. Toujours dans les années 1970, le monument servira de lieu de rassemblement et de souvenirs. Seront aussi organisées des journées champêtres pour les anciens résidents, avec pique-niques et jeux pour les plus jeunes (course de boîtes de savon). 

Dans les années 80, la municipalité avait élaboré un plan de centre d'interprétation et un terrain de camping pour faire revivre un peu le village. La population a rejeté l'idée à l'époque. 

Au 10e, 25e, 30e, 40e, les commémorations furent importantes et étaient l'objet de rencontres et de reportages. Durant cette période, sur le terrain de l'ancien village, la nature reprenait ses droits malgré une utilisation réussie par le club d'aéromodélisme, le club Quad, le déploiement militaire occasionnel et la centrale électrique chutes Wilson. Après la fusion en 2000, les rassemblements de fin de semaine de véhicules pour jouer et compétitionner dans la boue a engendré un fort achalandage et des problématiques de sécurité. Le comité pour faire oeuvre de mémoire, a même été pris à partie et a reçu des menaces. En 2012, un comité de l'Afeas, toujours piloté par Rolande Lavoie, a organisé des rencontres dans les écoles de Shipshaw et Arvida pour informer et intéresser les jeunes au sinistre de St-Jean-Vianney. L'intérêt fut marqué et son instigatrice s'est méritée le prix provincial Azilda Marchand, remis par le congrès des Afeas du Québec. 

Toujours en 2012, le comité contactera et accueillera le musée de la mémoire vivante de Saint-Jean Port-Joli qui viendra réaliser ici 14 enregistrements de témoins directs du sinistre de Saint-Jean-Vianney,

En 2013, construction du centre multiservice qui offrira un local pour les archives et artefacts sur S.-J.-V. C'est le début du musée ou centre d'interprétation,

En 2021, 50e anniversaire. Malheureusement la pandémie de COVID s'invite à cette commémoration singulière et très attendue. La ville de Saguenay investira 370 000$ pour donner une impulsion significative à l'œuvre de mémoire et faire de Saint-Jean-Vianney un lieu de mémoire.

En voici les principales réalisations :

réflexion du mouvement et remplacement de l'oiseau d'aluminium qui avait été volé. Serge Beaumont aura l'honneur de retoucher à son œuvre;

construction d'un mur du souvenir et d'un stationnement près du parvis de l'ancienne église;

érection de mémorial à la limite de la rue Saint-Georges. Il s'agit d'une sculpture représentant le glissement de terrain et la clôture qui s'y jouxte est constituée d'autant de plaques portant les noms des 31 victimes de cette sombre nuit de 1971; 

un sentier pédestre de 3.5 kms a été aménagé pour que ceux qui le désirent puissent descendre dans le cratère, suivre le ruisseau Petits-Bras, puis la rivière Aux-Vases avec son impressionnant canyon de glaise. On peut découvrir jusqu'à quel point le bouleversement fut énorme; 

s'est ajouté aussi un parcours numérique magnifique qui nous renvoie des images étonnantes du village tel qu'il était avant la catastrophe;

le 4 mai 2021, la vice-première ministre du Québec, Geneviève Guilbault, attestait la catastrophe de Saint-Jean-Vianney comme événement historique national;

les grands médias radios, télés, journaux régionaux et nationaux ont couvert les événements commémoratifs et le comité fut fortement sollicité; 

Rolande Lavoie, au nom de son comité, a publié un numéro spécial de 28 pages de la Vie d'Ici sur l'œuvre de mémoire depuis les tout débuts.

la revue Saguenayensia, volume 62, numéro 1, 2021, a également consacré son numéro spécial "Saint-Jean-Vianney: la fin d'un monde". Le comité a donné à chaque famille de l'ancien village une copie des 2 revues livrées de main à main à domicile.

En 2022, sortie du roman de Jacques Blouin: «Il se passe des choses étranges à Saint-Jean- Vianney».

En 2023, la fabuleuse histoire d'un Royaume rajoute un tableau sur Saint-Jean-Vianney à sa fresque historique. La création et reconfiguration de cet ajout, que Jimmy Doucet a réalisé après consultation du comité et des archives, aura coûté au bas mot 400 000,00$ et 3 années de travail. 

En mai 2025, après des années de recherches, Klair Girard lancera son livre : « Sur la route de Saint-Jean-Vianney ». Plus de 600 pages sur l'avant, pendant et après Saint-Jean-Vianney. Une somme extraordinaire de faits vécus, de témoignages, d'analyses qui sera distribuée gratuitement à chaque famille de S.-J.-V. qui le souhaitera. Chaque ouvrage coûte 50 $ en impression. Le comité et l'auteure sont allés chercher pour 10 000 $ de commandites. Le lancement officiel se fera le 31 mai prochain. 

L'œuvre de mémoire se passe dans les souvenirs de chacun, mais pour sa pérennité historique, elle doit être portée, rappelée, organisée, enseignée, publicisée, enregistrée. 

Tel  fût et tel est toujours la volonté profonde et engagée du comité pour la mémoire de S.-J.-V. 

Leur détermination fait notre fierté.